L’enchantement du CD « Duphly » d’Elisabeth Joyé : une entrée « de rêve » dans le classicisisme musical français du XVIIIème siècle !

— Ecrit le mercredi 15 juillet 2009 dans la rubriqueMusiques”.

Quelle merveille que le CD « Pièces de clavecin » de Jacques Duphly (1715-1789) que vient nous offrir la magnifique Elisabeth Joyé, sur le si beau « clavecin historique du château d’Assas«  (en Languedoc : clavecin qu’avait si bien servi, il y a quelque temps, Scott Ross, en son « intégrale » des 555 « Sonates » de Domenico Scarlatti… ; Scott Ross est mort au château d’Assas le 13 juin 1989 ; est-il besoin de le rappeler ?)

que nous propose, ce début d’été 2009, Alpha :

il s’agit du CD Alpha 150…

A mes yeux, voilà rien moins que le plus bel enregistrement de « musique baroque » de cette saison 2008-2009 ;

et, mieux encore, une « entrée » rêvée dans la musique française de la période dite « baroque«  (de l' »Orfeo » de Claudio Monteverdi, donné à la cour des Gonzague à Mantoue le 24 février 1607, à la mort de Jean-Sébastien Bach, à Leipzig, le 28 juillet 1750, pour aller au principal, et le dire trop vite… ;

les quatre « Livres » de « Pièces de clavecin » de Jacques Duphly ont paru respectivement en février 1744, octobre 1748, janvier 1758 et le 14 juillet 1768, pour être précis !) :

un enchantement absolu en son élégance tranquille, heureuse,

mais non dépourvue d’une certaine gravité,

en ombre portée, tout simplement, et sans façons aucunes, en quelque sorte, de ses « jeux » :

à la Chardin, si l’on veut ; un presque parfait contemporain, aussi, c’est à noter : Paris, 1699 – Paris, 1779…

Car,

de même que Chardin, qui s’est cantonné aux « Scènes de genre » et aux « Natures mortes » _ à l’exception de (très rares) « auto-portraits«  _, n’a pas accédé à la reconnaissance des « grands genres«  (la « peinture d’histoire« , le « portrait« , le « paysage« ),

Jacques Duphly n’a pas recherché une carrière à la Cour _ « il n’eut jamais de position officielle« , l’a formulé François Lesure, en sa préface aux « Œuvres pour le clavecin » de Duphly, éditées par Françoise Petit en 1967… _ : il s’est contenté d’enseigner _ avec grand succès _ le clavecin à Paris, à partir de 1742 ;

Pierre-Louis Daquin, affirme, en ses « Lettres sur les hommes célèbres sous le règne de Louis XV », en 1752, que les dons de claveciniste de Duphly étaient « supérieurs » ;

qu’il eut raison de gagner Paris (plutôt que de demeurer en poste _ d’organiste _ à Rouen : Carmes, Saint-Louis, Saint-Éloi, Notre-Dame de la Ronde ; ou Évreux : la cathédrale) ;

Paris où « il passe pour un très bon claveciniste » ;

précisant encore qu’« on lui trouve beaucoup de légèreté dans le toucher et une certaine mollesse _ « morbidezza« , en italien, c’est-à-dire « douceur« , « tendresse« , au lieu de « dureté«  _, qui, soutenue par des grâces, rend à merveille le caractère de plusieurs de ses pièces« .

Et Pascal Taskin _ (1723-1793) le « maître-facteur«  de clavecins de l’époque à Paris : « Facteur de Clavessins & Garde des Instruments de Musique du Roi, Eleve & Successeur de m. blanchet, demeure Même Maison, rue de la Verrerie, vis-à-vis la petite porte de S. Merry, a. paris« , comme lui-même se présentait… _ le tient pour un des meilleurs professeurs du moment…

Dans le livret du CD, Marie Demeilliez rappelle, page 12, à propos de la « notoriété » et « carrière » de musicien à Paris de Duphly,

que « s’affirmant dès son arrivée à Paris comme l’un des meilleurs clavecinistes de son temps,

il est l’un des rares musiciens français du XVIIIème siècle à pouvoir vivre de la composition et de l’enseignement du clavecin« .

Jacques Duphly, « né à Rouen en 1715« , est le « petit-fils du célèbre organiste Jacques Boyvin (1655-1706)« , et « l’élève de François d’Agincourt _ Rouen, 1684 – Rouen, 1758 _, alors titulaire de l’instrument de la cathédrale _ de Rouen _ et organiste de la Chapelle royale » _ à Versailles.

Cette « gravité« -là, de ton, est parfaitement sensible dans le jeu,

et la façon de faire sonner le clavecin « historique » du château d’Assas,

d’Elisabeth Joyé :

on le constate à comparer l’écoute de ce CD « Duphly » Alpha 150

à celle du CD « Duphly » Séon du maître Gustav Leonhardt,

enregistré à la Doopsgezinde Kerk d’Amsterdam en janvier 1973, sur un clavecin David Rubio en 1972, d’après un original de Pascal Taskin (1723-1793, donc) ; et produit par Wolf Erichson…

Si l’on compare cet enregistrement-ci (CD Alpha 150) d’Elisabeth Joyé

à l' »Intégrale  de l’Œuvre pour clavecin » _ c’est-à-dire de l’ensemble des « pièces » des quatre « Livres« _ enregistrée par Yannick Le Gaillard pour ADDA en 1988,

soit la durée de la sélection par Elisabeth Joyé (= de 14 titres) pour le CD Alpha : 75 minutes,

vis-à-vis des 223 minutes de l' »Intégrale » (soit 51 titres) de Yannick Le Gaillard en 4 CDs,

on mesure la portée (et le goût !) de la sélection : un tiers de la musique publiée…

Une pièce seulement des livres II (« La Félix« ) et IV (« La Pothoüin« ) _ ces deux pièces choisies aussi parmi les onze de la sélection de Gustav Leonhardt, en 1973 _ ;

mais sept du « Premier Livre » et cinq du « Troisième Livre«  :

dans son livret pour l' »Intégrale » de Yannick Le Gaillard,

Jacques Drillon qualifiait le « Premier Livre«  de « traditionnel«  : payant son tribut « aux aînés et à leur puissante leçon » ;

« le deuxième écrit dans l’euphorie du succès est beaucoup plus italien«  ;

« le troisième est le livre de la maturité : Duphly y intègre certaines de ses plus grandes pièces, comme sa chaconne, et de l’inspiration la plus élevée, comme « La Forqueray », ou « la Médée » »… ;

allant jusqu’à qualifier le « quatrième livre«  de « celui d’une certaine décadence« , comme si « le clavecin et sa musique ne pouvaient » plus que difficilement « survivre à leur propre somptuosité« … 

Dans sa préface, en ouverture au livret du disque d’Elisabeth Joyé,

Jean-Paul Combet se déclare « particulièrement touché que cet enregistrement d’Elisabeth Joyé ait pu s’inscrire dans la mémoire d’un lieu » tel que le château d’Assas (il vient d’évoquer la « trace artistique » de Scott Ross : « intacte » !).

Et il poursuit, à propos de la si remarquable interprète _ à laquelle rendent fort bien justice, quant à ses « sentiments« , les six photos prises d’elle à Assas _  :

« Cette grande pédagogue, si attentive à l’accomplissement de ses élèves (nombreux et illustres ! _ à commencer par Benjamin Alard et Sébastien Delage que j’ai déjà eu l’occasion de citer… _), sait comme personne ciseler le son et faire chanter le clavecin,

faussement réputé inexpressif.« 

Puis :

« Avec Duphly, ce sont les derniers feux de la grande tradition française du clavecin qui brillent _ et avec quelle profondeur et douceur de « charme » ! _ avec l’éclat de ce qui va disparaître.« 

Pour conclure :

« L’enregistrement, longuement pensé, préparé et mûri _ oui : avec la splendide fraîcheur de la spontanéité, elle aussi, et comment ! présente !.. _ ne pouvait avoir lieu qu’ici, à Assas, où vivent les _ couperiniennes _ « ombres errantes » de la musique française.« 

On ne saurait mieux dire !!!


Et plutôt que de vouloir « voir en Duphly le « Chopin du clavecin » »,

comme l’évoquait en son livret de 1989 Jacques Drillon,

c’est plutôt du côté de Debussy que j’irais rechercher quelque « comparaison » (mutatis mutandis !) de style musical,

en m’appuyant sur l’analyse du génie de « Claude de France » faite par Jean-Yves Tadié en son beau « Songe musical _ Claude Debussy« …

Cf à ce propos mon article du 10 mars 2009 : « la poétique musicale du rêve des “Jardins sous la pluie”, voire “La Mer”, de Claude Debussy, sous le regard aigu de Jean-Yves Tadié« …

Un disque d’autant plus beau que sobrement délicat et chantant, en ses moindres souffles et inflexions, que ce CD « Jacques Duphly : Pièces de Clavecin » (CD Alpha 150) par la magique, discrète, délicate, justissime Elisabeth Joyé…


Titus Curiosus, le 15 juillet 2009

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Le 20 juillet 2009

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