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Mattern ou le refus de paternité

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Une actualité de David V.
Publié le 09/05/2013

Les bains de KiralyJean Mattern n'est pas connu du grand public : éditeur au sein de Gallimard, il est responsable de plusieurs secteurs de littérature étrangère dans la maison d'édition, de la collection Arcades et sa qualité de découvreur d'auteurs le laisse dans une ombre qui lui est peut-être propice (conjecture, conjecture...). En cette rentrée, son nom s'affiche désormais sur la couverture d'un livre à l'enseigne de Sabine Wespieser, maison d'édition particulièrement aimée des libraires et qui a su en quelques années imposer son catalogue exigeant.

Les Bains de Kiraly commence par une citation d'Eric Clapton, qui est un peu "Dieu" pour les amateurs de guitare : la musique qui, tout de suite émane des pages de Mattern n'a cependant rien de céleste, c'est plutôt le chant simple et désespéré d'un homme qui fuit sur un chemin qu'il ne veut pas parcourir, le bruit d'un pas devant l'autre dans une ville triste. L'homme qui marche est bien un fuyard : quand sa compagne lui a annoncé qu'elle allait mettre au monde leur enfant, une voix lui a imposé ce geste fou et depuis il essaie d'oublier. On comprend vite que la mémoire a tout à voir avec cette folie qui nous paraît, à première vue, choquante et sans excuse : Gabriel, celui qui dis "je" tout au long de ce bref roman, a un compte à régler avec un passé douloureux et le futur lui paraît insupportable tant qu'il n'aura pas réglé ce compte-là, tant qu'il n'aura pas trouvé les mots pour traduire le tourment d'un deuil mal accompli. Or, les mots c'est son domaine puisqu'il est traducteur ( il s'est lancé dans une nouvelle traduction du chef-d'oeuvre crépusculaire de Thomas Mann, le Dr Faustus, entreprise littéraire superbe qui lui permet le retrait du monde) et il se heurte avec obstination à leur incapacité à traduire sa souffrance. "Donner, puis reprendre", ces trois mots terribles qui sonnent comme un couperet divin, c'est la seule réponse que le père a pu donner face à l'horreur de la mort de sa fille, condamnant au silence le frère meurtri. Phrase biblique, elle va ressurgir dans la vie de Gabriel et prendre sens lors d'un séjour en Hongrie, au coeur de cette Mitteleuropa fantasmatique, lieu de l'origine et origine du silence.

La langue de Jean Mattern est limpide et belle, l'alternance des temps qui nous fait osciller entre passé et présent parfaitement maîtrisée. Elle contribue à nous enlacer dans cette aventure triste et poignante. Jean Mattern est éditeur : le voilà devenu, par la grâce d'un livre réussi, écrivain.

Jean Mattern

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