A la mort de Norman Mailer, il y eut de peu de commentateurs pour souligner l'importance dans sa vie d'un auteur français dont le renom n'est pas aussi élevé qu'il le mériterait. Jean Malaquais que, grâce aux Editions Phébus du temps où Jean-Pierre Sicre présidait à sa glorieuse destinée, on a pu redécouvrir (Les Javanais) est mort en 1998, dix ans avant celui dont il fut le traducteur et le mentor, et il restait à rééditer ses nouvelles publiées de façon éparse puis éditées en 1944 aux Etats-Unis (Editions de la Maison Française), ce qui n'est pas la meilleure façon de se faire remarquer, et qu'il était pour le moins difficile de se procurer. On se souvenait d'avoir lu dans un vieux numéro de la NRF un splendide texte où il était question de tracteur : le voici de nouveau lisible pour d'autres lecteurs que les amateurs de bouquinistes (Garry). Et il est accompagné d'une série d'une qualité exceptionnelle qui confirme la place que devrait tenir ce discret personnage dans les Lettres du XX° siècle. Le monde déliquescent que nous dépeint Malaquais dans Coups de barre, à paraître au Cherche-Midi, cet émigrant polonais (de son vrai nom Vladimir Jan Pavel Malacki) installé dans cette ville ouverte qu'était Marseille, s'incarne dans des personnages souvent au bout du rouleau, pressé par le manque mais prêts à l'aventure au bord de cette Méditerranée pleine de promesses. Et l'ironie, cette politesse qui reste aux désespérés pour ne pas sombrer dans le mépris de soi, affleure dans chaque nouvelle, elle côtoie le sordide et le magnifique. Pour l'un des héros, c'est l'achat d'une montre, escroquerie à la petite semaine, qui va se révéler, in extremis, providentiel. Pour un autre c'est la terrible accusation du meurtre de Mimiq dont il va falloir se laver, bouffonnerie tragique parfaitement menée à son terme. Car ce qui séduit chez Malaquais, c'est cette parfaite économie de moyens qui permet de réussir les nouvelles et d'entrainer une lecture que rien ne doit interrompre. Très habile, il capte notre attention et tisse sa toile narrative. On comprend dès lors pourquoi il fit une telle impression sur le jeune Norman Mailer, ambitieux débutant qui se fit vite un ami de celui qui allait le traduire (Les nus et les morts) et qui écouta tout au long d'une amitié qui dura cinquante ans ses conseils avisés, même lorsque Malaquais renonça à écrire. Leur correspondance paraîtra simultanément dans une traduction de Jean-Pierre Carasso : elle éclaire d'une précieuse lumière le parcours des deux hommes, l'un monstre sacré de la littérature mondiale, rouleau compresseur prêt à en découdre, l'autre, voix discrète mais sûre de ses jugements, grand écrivain trop vite relégué au troisième rang dont on célèbre, sans tapage le centenaire.
On trouvera un passionnant site consacré à Jean Malaquais : http://malaquais.org