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Jan et Yannick

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Une actualité de Sylvie
Publié le 24/08/2013

Jan KarskiChoc de cet été, livre bouleversant, sensation certaine de l'automne, le prochain livre de Yannick Haenel a toutes les raisons de susciter un émoi véritable lors de sa sortie. D'autant qu'il succède aux Mémoires de Claude Lanzmann, best-seller remarquable mais pas si inespéré que ça, et qui nous a rappelé l'importance de son film Shoah dont il nous décrivait l'édification. Jan Karski est une des figures marquantes de ce film, c'est un polonais de l'ombre qui s'est vu confier la mission de faire le lien entre la Résistance de son pays et son gouvernement en exil. C'est à ce titre que deux représentants de la communauté juive l'ont supplié de devenir le messager d'une information cruciale et monstrueuse : les nazis sont en train d'exterminer les Juifs d'Europe et personne ne fait rien ; il faut que les Alliés réagissent. Karski va donc suivre ces deux hommes en enfer, pénétrant dans le Ghetto en pleine agonie, profondément bouleversé par le spectacle de ces morts vivants en train d'agoniser debout, par ces femmes portant des nourrissons qu'elles ne peuvent nourrir, par ces jeunes officiers SS qui font un carton sur des malheureux en traversant les rues. Presque incapable de décrire ce qui lui a été donné de voir trente ans plus tard devant la caméra de Lanzamnn et dont il devait témoigner absolument, il se souvient du long calvaire d'un homme que personne ne voulait écouter. Alors pourquoi avoir intitulé roman ce qui pourrait passer pour un essai et qui commence comme tel. Pourquoi, alors que la courte première partie est une paraphrase interprétative (et très fine, sans pathos) de ce que l'on a vu dans Shoah, alors que la deuxième partie est une reprise du livre de Jan Karski lui-même paru en 1948, confier à la fiction le soin de prendre le relais de l'analyse ?  C'est tout l'enjeu du très intelligent Haenel qui nous avait déjà soufflé (et fatigué aussi un peu, avouons-le) avec son Cercle : il a confiance dans la puissance de la fiction, dans sa capacité à creuser dans ce qui nous est donné comme le réel et le tangible en osant un monologue de Karski devenu narrateur et où peut se dire l'indicible : "on a laissé faire l'extermination des juifs". Ce scandale monstrueux qu'on a nié afin de s'installer dans cette "confortable" haine du coupable qui permet d'effacer ou d'atténuer les complicités retrouve par la voix d'un témoin en qui l'horreur ne s'efface pas toute sa puissance : terrible magie de la voix littéraire. Cet homme que les mensonges d'état n'empêchent plus de dormir est poursuivi par "la voix des morts", atrocement conscient que "les ténèbres absorbent petit à petit chaque détail de (s)a mémoire, c'est pourquoi (il) continue à veiller".

Qu'une Rentrée Littéraire avec tout son fatras de petites histoires sans importance et d'ego surdimensionnés s'honore d'un tel livre a de quoi nous rassurer. Faisons lui honneur le moment venu.

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