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Efina écrit. T. lui répond

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Une actualité de David V.
Publié le 24/08/2013

Noëlle RevazT. Vous ne saurez rien d'autre sur son nom que cette lettre : T.  C'est un acteur, il est célèbre et célébré, on le courtise, on le guette à la sortie du théâtre. Il mène la vie ardente d'un homme aimé des femmes qui n'hésite pas à convoler souvent. Il est imprévisible, orgueilleux, passablement vain, il a du talent - en tout cas on le lui dit -  et il le sait. Efina a reçu de lui, il y a déjà longtemps une lettre qu'elle garde depuis. Ce morceau de papier qui aurait pu être détruit, oublié, égaré va engendrer tout au long du roman inattendu qui en découle une multitude d'échos, de repentirs, de reniements, d'appels désespérés, de rejets, bref de toute la gamme de sentiments qu'offre cette activité pour le moins désertée ces temps-ci : l'échange épistolaire. Mais pour un sujet aussi vibrant et aussi risqué que celui-ci, il convenait de trouver un style, une voix, une manière dirions-nous en pensant au temps classique où le théâtre des sentiments occupait à lui seul tout l'espace littéraire et dramatique, et Noëlle Revaz (1) qui avait bousculé bien des lecteurs il y a plusieurs années avec Rapport aux bêtes est à la hauteur du défi, confondant en un seul mouvement allers-retours épistolaires et écoulement de deux vies fort peu tranquilles qui vont se croiser et s'éloigner pendant des dizaines d'années : la langue qu'elle s'est choisie, simple et perçante, musicale et entêtante, ne relâche jamais la tension qui unit les deux figures. Le comédien d'un côté dont le vide résonne sans fin ; la jeune femme de l'autre qui va cesser d'être jeune, cesser d'aimer naïvement, cesser de se duper mais ne jamais interrompre totalement cette liaison dévorante qui a choisi d'affronter le temps. Car s'il s'agit bien d'un roman d'amour, d'une écriture qui joue sur un registre classique, le modèle de La Princesse de Clèves est soufflé par des personnages qui ont des conquêtes, des défaites, des expériences, des amants, des maîtresses, qui vivent le lien persistant les unissant sans renoncer à laisser leurs corps exulter, leurs illusions sur le couple s'épanouir. Ils aiment et puis ils passent à autre chose. L'amour les reprend puis les déprend. Le mépris envers l'autre les surprend un jour mais lui aussi s'use. Rien n'est définitif, point de happy end en vue ou de cette entourloupe romanesque (dont nous sommes friands ou esclaves) qui nous fait abandonner sans vergogne les héros classiques au zénith de leur histoire (quand bien même ce zénith serait de boue et de cendre) mais plutôt l'inexorable parcours, sans but, comme divaguant, de deux êtres qui n'existent que par la langue de leur créatrice. Autant le dire, la drôlerie, l'invention, l'art de la rupture sont ici magnifiés, honorés et ces phrases qui décrivent la sottise de l'un, la fatuité de tel autre, l'obsession cyclothymique de ces amoureux indécis,  de leur entourage évanescent, de leurs animaux aussi (que de chiens enterrés) ont vite fait de vous obséder comme vous obséderait au théâtre la voix d'un coryphée moqueur et cruel devant les trépidations des comédiens. Renouveler le genre du roman d'amour n'est pas une maigre gageure, Noëlle Revaz y a réussi et cela force notre respect et notre admiration toujours prompte à bondir quand on lui offre des mets de choix. Celui-ci vient de Suisse et je serai bien prêt à parier qu'on n'a pas fini d'entendre parler de celle qui a réussi cette merveille.

(1) Noëlle Revaz est née en 1968 en Suisse. Elle a grandi à Vernayaz et vit aujourd’hui à Montreux. Elle a obtenu une licence en latin, français et français médiéval à l’université de Lausanne. Elle signe des chroniques radiophoniques, entre 1995 et 1996, sous le pseudonyme de Maurice Salanfe. En 2002, elle publie Rapport aux bêtes, qui a été adapté au théâtre par l’auteur et présenté au Théâtre de Poche de Genève durant la saison 2003-2004, dans une mise en scène d’Andrea Novikov. (fiche du Centre National du Livre)

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