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Traverser la nuit 1

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Une actualité de David V.
Publié le 21/09/2013

Fabio ViscogliosiCertaines nuits sont infranchissables et vous collent au drap du souvenir, demain paraît presque inimaginable et il faut toutes les ressources de la psyché pour inventer de quoi tailler sa route jusqu'au matin libérateur. Fabio Viscogliosi, qui inaugure ce mois-ci la nouvelle collection de Brigitte Giraud chez Stock, La Forêt, l'a bien compris et s'il attendu d'avoir dépassé la quarantaine pour nous ouvrir à la lumière de son intime clairière, il le fait avec une fraîcheur qui pour n'être jamais mièvre possède un charme redoutable. On entame son livre seulement, croit-on,  pour en apprécier la saveur et on se retrouve deux heures plus tard conquis par sa musique, les brèves mesures de sa partition sautillante qui nous fait aller et venir entre passé familial et souvenirs de lectures ou brèves épiphanies, sans flirter avec l'érudition ou l'égotisme forcené. Sortez-le de votre sac pendant votre prochain voyage en train, vous ferez un peu contraste avec la masse sans imagination des lecteurs de romans prédigérés qui en imaginant le meilleur des mondes possibles pataugent dans le plus fade, mais surtout vous y trouverez sujet à rêveries, à échappées, tournant les pages sans vous rendre compte que la fin du trajet approche.

Se raconter par fragments, beaucoup l'ont fait. Qu'on songe à J.B. Pontalis qui a illustré avec tellement de subtilité cet art de dire beaucoup en retenant sa plume. Fabio Viscogliosi n'invente rien mais il met à profit son sens du rythme, sa pudeur pour composer un inattendu roman familial tout en silence et en demi-teintes, donnant à la figure du père absent la première place, érigeant un modeste monument à cet homme venu d'Italie tout jeune pour s'inventer un avenir en France. L'exercice qui consiste à raconter son ascendance en lui rendant hommage est toujours délicat et moins aisé que le règlement de compte qui donne des munitions brillantes (on brille moins quand on loue que quand on crible). Viscogliosi y va franchement, sans ces petites précautions qui font le bon sentiment, et Dieu sait que les bons sentiments sont une valeur en hausse dans la littérature française contemporaine qui a entendu la plainte unanime de toutes ces lectrices réclamant "des livres qui redonnent le moral (pour une vieille amie à l'hôpital ou qu'a pas la forme...)". Il ne s'interdit pas de lancer des pistes de réflexion qu'il se garde bien d'explorer, on lui en sait gré : une idée jetée au milieu de la forêt a parfois plus de chance d'éclore qu'un petit essai prétentieux et vite oublié. Livre de questions, questionnement du souvenir et de la force des liens, Je suis pour tout ce qui aide à traverser la nuit n'a pas à revendiquer son statut de roman, ce genre fourre-tout qui accueille n'importe quoi, il n'est pas non plus un récit, cette dénaturation romanesque, il est recueil, il est hommage, il est chansons, il est exposition de tableaux intimes, et c'est le plus beau compliment que, pour l'heure, nous pouvons lui faire. Vous y croiserez Eddy Cochrane avant la chute, René Magritte, ce dynamiteur qui voulait une vie tranquille, Buster Keaton âgé et philosophe, des musiciens qui composent la B.O. d'une vie, des portails si lourds à monter, des souvenirs si faussement légers.

On n'a pas encore écouté les disques que Fabio Viscogliosi a enregistré, il y chante paraît-il en italien. On en connaît pas bien les nombreuses bandes dessinées dont il est l'auteur mais on va se dépêcher d'aller faire un tour au rayon B.D. de chez Mollat avant de visiter le rayon disques... Le dessinateur sera d'ailleurs, nous apprend Sarah, la jeune recrue du rayon, à l'honneur pour le salon d'Angoulême, ce qui coïncidera avec la nouvelle édition en un volume sous le nom de Da Capo de trois de ses oeuvres. Comme quoi la littérature mène à tout.

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