Je vous parle d'un temps que les moins de quarante ans ne peuvent pas connaître...: La Gana, ça voulait dire quelque chose aux fous de littérature excessive et c'est un roman de l'excès comme elle en produit peu, de ces livres sortis de nulle part et qui auraient pu y retourner sans l'acharnement de mordus qui célèbrent, comme je le fais ici, chaque réédition. Découvert par Maurice Nadeau il y a un demi-siècle (et sa préface est chaque fois reprise comme ici où elle est à peine augmentée), ce livre parut sous le nom de Jean Douassot avant que celui-ci décide de fondre ses deux patronymes, celui de peintre Fred Deux, sous lequel il connut un certain succès, et l'autre qui disparut corps et bien au détour d'une réédition. Relancé par Eric Losfeld, éditeur spécialisé dans les maudits, repris par sa fille Joëlle à l'enseigne du Terrain vague, redécouvert par André Dimanche, il revit aujourd'hui grâce à Georges Monti des éditions Le Temps qu'il fait qui avait déjà permis à Fred Deux de réapparaître. Dans un format ramassé, qui tient bien dans la main, voici donc La Gana, ce récit d'initiation, sans doute autobiographique, d'une vie souterraine, d'une enfance dans les sous-sols de la misère la plus crasse et partant, grâce à l'écriture noire de Deux, la plus belle, la plus troublante. Il est beaucoup question de sexe, de terreur face à la fascination qu'il exerce, de la cruauté qu'il engendre, de la solitude qui est son double venimeux. Il est surtout question de l'enfance et je crois pouvoir affirmer que sur ce sujet c'est un des plus grands qu'ait mûri ce XX° siècle furieux. Il y aurait tant à dire sur ce livre qui offre au cauchemar son plus bel hommage qu'on se contentera de cette ferveur impressionniste qui tiendra lieu de vague critique. Certains livres méritent le silence de ces bavards de libraires...: que celui qui écrit ces quelques phrases se taise donc. La Gana est de nouveau disponible, c'est tout.