Il est possible d'évoquer les ravages terribles du mensonge sans céder au moralisme le plus plat. Jonathan Buckley en a fait la démonstration dans son implacable Contact qui vient d'être traduit (par Martine Aubert) chez Rivages, une maison d'édition, d'ailleurs, où souffle de nouveau, depuis quelques temps, un vent littéraire de belle tenue dans ce domaine étranger qui avait perdu de sa superbe d'antan.
"C'est un mardi matin du mois de mai que ma vie s'est mise à dérailler", commence Dominic Pattison le narrateur de ce roman avec un sens de la litote qui laisse mal préjuger de la suite du cauchemar dans lequel son train-train vient de pénétrer. Car le jeune homme qui insiste lourdement pour le rencontrer, un garçon épais un rien menaçant, ne va pas seulement ébranler ses certitudes d'homme parvenu, installé dans une notoriété confortable. Il va bouleverser la ligne droite qu'il croyait avoir tracée et qu'il appelait sa vie. Sam est direct, il a trente ans et derrière lui, déjà, un passé chargé de soldat malmené. Quand il aborde Dominic, il ne prend guère de gants pour lui annoncer qu'il est son fils, que sa mère, vous savez cette femme avec laquelle vous avez trompé la vôtre puis que vous avez abandonnée, a vécu sa grossesse sans rien lui dire, préparant une bombe à retardement qui vient exploser devant lui. Le cinquantenaire va dès lors subir une déflagration lente, comme un ralenti de vie qui s'écroule et que l'on ne parvient plus à retenir. Dévoré par le doute, tenaillé par l'angoisse que sa femme découvre l'histoire, grignoté par l'envie d'en finir sans trouver de solution, anéanti par les conséquences inimaginables d'un adultère enfoui depuis longtemps, il avance à vue, se laisse déborder par les initiatives du jeune homme qui parvient à se faire embaucher comme Michel Morin (expression bordelaise que l'occasion nous est donnée d'employer ici) par l'épouse d'abord surprise puis séduite par ce garçon franc et serviable. Incapable de prendre les devants, Pattison se trompe à chaque fois qu'il tente de ruser ou de se mentir. Ces petites ironies de la vie si finement racontées par le génial Thomas Hardy, il les subit, submergé. Jonathan Buckley ne manque pas de talent pour nous décrire, de l'intérieur, cette désintégration, non seulement celle d'un couple solide qui vole en éclats, mais celle d'un homme qui découvre sa lâcheté et va se repentir de n'avoir pas osé la décision, celle qui justifie une vie. Au nom du fils le père, à peine découvert, tremble, et ses tremblements ne cesseront plus. Contact, un livre qui fait trembler et à découvrir sans retard.