Gabr ne comprend pas ce qui lui arrive. Quand d'étranges hallucinations le prennent, il consulte aussitôt un médecin qui le rassure ; dans quelques jours, tout sera rentré dans l'ordre. Il suffit juste de commander les bonnes pièces. Nous comprenons vite, nous lecteurs, qu'on veut l'empêcher de voir.
Or, quand nous n'avons jamais vu de notre vie, que nous ne connaissons personne à qui cela soit arrivé et que la notion même nous échappe, pourquoi protester ? Pour Gabr se sera grâce à deux événements essentiellement : l'approche d'un étrange individu qui l'alerte d'une manipulation gouvernementale et sa découverte de l'horizon, cet
Espace lointain (éditions Agullo) inaccessible et magnifique dont il serait malheureux de se priver.
Mais ce n'est pas une éternelle histoire de lutte du bien contre le mal que
Jaroslav Melnik nous offre-là car les gentils ne le sont pas tant que ça au final ; pour retrouver sa liberté, il est parfois nécessaire d'envisager des dommages collatéraux. Dans cette guerre, nous ne parlerons pas de justice ; l'aveugle est aussi coupable d'avoir accepté ce monde.
Bien dirigé, l'innocent est manipulable à souhait. Celui qui croit tout ce qu'on lui dit sans chercher à savoir si une autre vérité existe voit son monde étriqué, réduit, aveugle. Une belle leçon de curiosité, une belle ode à la liberté.