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Avant l'après : voyages à Cuba avec Georges Orwell - Frédérick Lavoie

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Une actualité de Rayon Littérature
Publié le 29/05/2018
Après une enquête sur les conditions de vie en « post-sovietie », puis sur le conflit qui « fragmente » l’Ukraine depuis la fin de l’année 2013, le journaliste indépendant Frédérick Lavoie, québécois comme son éditeur La peuplade, publie le récit de ses voyages à Cuba, entrepris entre 2016 et 2017 sous l’autorité morale de son prédécesseur George Orwell.
Durant la dernière décennie, Frédérick Lavoie a « observé des sociétés postcommunistes en mal d’avenir. » Le cas de Cuba, dont le régime est parvenu à se maintenir malgré l’effondrement de l’URSS, ne pouvait manquer d’éveiller son intérêt journalistique, à fortiori depuis le 17 décembre 2014, date du rétablissement des relations diplomatiques avec les USA, rompues depuis près de 54 ans. C’est durant la préparation de son voyage qu’il apprend la réédition à Cuba, sous la houlette de la maison d’édition étatique Arte y Literatura, du célèbre roman de George Orwell, 1984*. La nouvelle a de quoi surprendre, si l’on considère la portée anti-totalitaire, et plus spécifiquement anti-communiste, de la dystopie d’Orwell. Faut-il y voir un assouplissement de la censure ou bien une « autre ruse des frères Castro visant à faire croire à une ouverture, tout en poursuivant dans l’ombre la répression de la dissidence ? » Lavoie s’envole pour Cuba, bien décidé à faire toute la lumière sur la parution de 1984 qui doit être présenté lors de la XXVe édition de la Foire internationale du livre de La Havane.

Sur place, le journaliste découvre les conditions d’existence des cubains, soumis, embargo oblige, à de récurrentes pénuries, coutumiers des pots-de-vin et tributaires d’un réseau de communication hors d’âge que le régime, soucieux de restreindre les contacts entre sa population et le monde extérieur, ne semble pas pressé de moderniser. Il faut néanmoins mettre au crédit de la révolution l’accession gratuite à l’éducation et aux soins pour chaque cubain, mesures promulguées dès l'établissement du régime castriste et jamais remises en cause. Pourtant, beaucoup de jeunes cubains, une fois leurs qualifications en poche, sont prêts à tout pour quitter le pays, bravant à n’importe quel prix les contrôles douaniers pour tenter leur chance autre part, loin de la sphère d’influence des frères Castro. Pour Sonia, la logeuse de l’auteur, la révolution n’est rien de moins qu’un « sac percé ».

À la foire du livre, la nouvelle édition de 1984 est bien présente. Le livre s'accompagne toutefois d'une préface, rédigée par un historien « officiel », qui souligne, comme avec empressement, le parallèle indiscutable entre la figure omnipotente de Big Brother et les services de renseignements américains. Pour Jesùs David Curbelo, fonctionnaire à l’Institut du livre cubain, « Il ne faut pas avoir peur des livres ». De l’avis de Fabricio Gonzàlez Neira, le traducteur de la nouvelle édition de 1984 : « Ils ont compris que la littérature n’est pas dangereuse, qu’un livre ne changera rien. » Selon ce dernier, il se pourrait même que la décision de rééditer l’ouvrage n’ait été motivée que par l’appât du gain, plusieurs maisons d’édition, dont Arte y Literatura, ayant récemment reçu le statut d’ « entreprise ». « L’ironie serait monumentale », fait remarquer le journaliste. Mais alors, à quoi bon cette préface ? Pourquoi, lorsqu’il se laisse entendre que l’initiative de republier le livre aurait été prise de « plus haut », le journaliste, cherchant à en apprendre davantage, se heurte-t-il aux « murs dans la parole » ? Qui se cache derrière l’éphémère maison d’édition Librerías Unidas, premier éditeur d’Orwell à Cuba, fondée dès les premières heures du régime et disparue à peine un an plus tard ?

C’est en enquêtant sur les circonstances de l’édition de 1984 à Cuba, établissant par là un « baromètre » de la censure dans le pays, que Frédérick Lavoie, s’appuyant sur l’œuvre d’Orwell et s’efforçant de prendre exemple sur la probité intellectuelle qui faisait la réputation de l’auteur britannique, parvient à approcher au plus près la réalité de l’île. « Mon but n’était pas de prédire l’avenir de l’île, mais d’encapsuler son présent pour usage futur. » Pour « l’après » donc, la potentielle levée de l’embargo, l'afflux des capitaux américains, comme du temps de Batista, où Cuba était une destination touristique prisée des yankees, réputée pour ses casinos, ses lupanars. Plus d’un an après la fin de cette enquête, en février 2017, Raùl Castro a cédé sa place à Miguel Díaz-Canel, premier vice-président du Conseil d'État et président du Conseil des ministres de 2013 à 2018. Celui-ci n’a pas tardé à faire savoir que lui et les siens resteront « fidèles à l’héritage exemplaire du commandant en chef Fidel Castro Ruz. » Donald Trump, apparemment soucieux de déconstruire les réalisations du gouvernement Obama, a quant à lui mis fin au rapprochement entre les deux pays. En attendant l’avènement du « ministère de la vérité », Frédérick Lavoie, pour qui « L’après est une réaction aux avants », dissémine ses « capsules » comme autant de balises sur la trajectoire historique. Comme Orwell en Catalogne, Tchékhov à Sakhaline, il a apporté sa contribution au peuple cubain.

*Les éditions Gallimard ont publié une nouvelle traduction française de 1984 le 24 mai dernier.

Nicolas

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