Un coup de folie ? Sans doute mais de ces folies qui honorent un éditeur et nous laissent augurer un beau destin dans ce monde - l'édition - où le courage n'est pas la plus grande vertu (mais les temps sont durs, c'est vrai...). Bref, vient de nous parvenir et à notre très grande joie le premier volume (dans la collection En démence animée par Anouck Cape) des oeuvres complètes d'André Baillon, écrivain tellement méconnu qu'on peut effectivement crier au miracle en imaginant que dans deux ans nous pourrons enfin tout lire de lui. Car au premier volume qui regroupe Un homme si simple et Chalet 1 succèderont le volume II des "romans de Marie" (Zonzon Pépétte, Histoire d'une Marie et En sabots), le volume III avec les autres textes dits de folie (Le Perce-oreilles du Luxembourg (1), Délires), le IV les romans de jeunesse (Roseau, Le Neveu de Mlle Autorité, La Dupe, Le Pénitent) et enfin le V qui regroupera des textes courts pour l'heure quasi impossibles à trouver. Evoquer Baillon c'est s'aventurer sur un terrain mouvant où l'étrangeté se pare d'une langue économe, le délire, dont il n'est pas avare, d'une mesure stupéfiante. Né en 1875, orphelin très tôt, élevé par une tante qui l'obsède de religion, il développe une neurasthénie et une angoisse qui feront de sa vie un calvaire et la matière d'une oeuvre bouleversante dont il est impossible de ressortir indemne. Riche héritier qui va claquer sans fortune dans les bouges, vrai pauvre qui va faire l'expérience d'une misère pour laquelle il n'est pas armé et qui lui vaudra d'essayer des métiers (dont éleveur de poules) qui ne le mènent nulle part, il trouve dans la littérature un refuge et une famille. Sans jamais gagner un vaste public, il obtient à l'époque un accueil critique qui souligne sa totale originalité sans lui offrir cependant un public qui le sortirait de la mouise. Mais écrire ne fait pas vivre, et la folie va s'emparer de lui et le conduire à La Salpêtrière au coeur du Chalet n°1 dont il va se faire le peintre fidèle, restant lucide malgré les assauts de l'angoisse, restant écrivain malgré les risques du délire. Parmi toute la littérature de l'enfermement qu'il est loisible de visiter quand on ne craint pas les épreuves, il est évident qu'André Baillon occupe une place à part, réussissant comme le souligne la préfacière Bérangère Cournut, à créer avec son lecteur une empathie qui fait de nous les "témoins de son cheminement vers l'impasse psychique" et ceci sans jamais réellement nous effrayer. Je ne résiste pas pour conclure à citer la dernière phrase de cette "postface liminaire" (qui fait pendant à une "préface terminale" de Benoît Virot) qui dit avec beaucoup de justesse et sans cette emphase qui conviendrait si peu au doux Baillon : "Allez, Baillon n'est pas Artaud, n'est pas Céline, mais c'est un écrivain puissant, original - et bien meilleur compagnon!" On ne peut pas mieux dire.
(1) Un titre que vient d'ailleurs de rééditer Sillage (Le Perce-oreille du Luxembourg), preuve qu'il y a un vrai regain d'intérêt pour lui. Et on croit savoir que Finitude, de son côté, prépare une réédition de La vie est quotidienne, recueil d'excellentes nouvelles de Baillon.