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Chevillard au corps

De la même façon que les choses qui nous restent inconnues semblent parfois nous harceler, je vivais dans un monde étrange où Eric Chevillard, j'en avais l'impression, était partout. Chevillard par-ci, par-là ; les gens semblaient scander d'une même voix : "Chevillard un jour, Chevillard toujours !". Tout ceci commençait réellement à me troubler le système. Le jour où j'en vins à marcher à reculons et à ne m'exprimer que par monosyllabes (peu pratique, me direz-vous, pour un libraire), je décidai enfin, mon courage dans les mains, qu'il devait être l'heure du Vaillant petit tailleur et ce qui n'était qu'un livre devint un voyage, une expérience telle que j'en reviens à peine. Il s'agissait d'abord de réécrire l'Histoire, celle, bien connue, des frères Grimm, où le petit couturier ayant tué sept mouches s'en va braver le monde, arborant une ceinture brodée d'or racontant son exploit. Il faut dire, c'est vrai, qu'après tant d'années le tissu s'élimait.

Mais, ce que j'avais pris alors comme la promesse d'un remake moderne et fade, calqué fait après fait sur la version originale, se révéla être tout autre chose. C'est qu'Eric Chevillard a la plume qui bougeotte, sans arrêt, tout le temps. C'est qu'en une seule histoire il nous en raconte mille, et même la sienne, voyez-vous. C'est qu'il est drôle, ce monsieur-là, et que son écriture, non contente d'être unique, inconnue, est très belle avec ça. Ainsi, nous passons du coq à l'âne, de l'âne au géant, puis à la princesse, puis à la licorne, et sans jamais refaire surface, revenir sur terre. Happés, nous le sommes totalement, gagnés par sa folie douce et furieuse dans le même temps. On sera surpris de voir à quoi peut nous mener les contes pour enfants, tous les pourquoi qu'ils suscitent (et qu'eux-mêmes n'auraient pu inventer), toutes les réponses que ceux-là provoquent. Au final, en déposant le livre encore chaud de nos yeux dans la bibliothèque, nous viendrons d'un seul coup d'en remplir tout l'espace.

Pour ce qui me concerne, l'y ayant déposé, je marche toujours à reculons et prononce les mêmes mots qui ne veulent rien dire, mais voyez-vous : j'assume! Je porte même une ceinture où j'ai gravé fièrement la raison de ma folie, les termes de ma victoire, visibles aux yeux de tous : Le Vaillant petit tailleur, par Eric Chevillard.

Camille

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