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Chien de race

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Une actualité de David V.
Publié le 24/08/2013

Les chiens à fouetterFrançois Nourissier n'a plus rien à prouver depuis longtemps. Le respect qu'on lui porte est débarrassé des suspicions d'intérêt que sa place éminente au sommet du jury des Goncourt lui valait. Lui aurait-on dit il y a plus d'un demi-siècle qu'on lirait aujourd'hui encore une petite oeuvre, peut-être de commande, sur la vie des Gens de Lettres des années cinquante qu'il aurait souri avec scepticisme. Et pourtant : paru en 1956 aux Editions Julliard (René Julliard qui en est d'ailleurs le dédicataire - us qui se perd: il est rare désormais de remarquer des romans dédiés à leurs éditeurs, les moeurs ont changé), Les chiens à fouetter (sortie le 28 août) pointe à nouveau son museau et ses griffes, et l'animal reste vigoureux malgré les ans. Cette année-là, Nourissier sortait d'un petit séjour chez Denoël en tant que secrétaire d'édition, poste stratégique qui lui permit de visiter de la cave au grenier la maison Littérature alors qu'il n'avait pas atteint la trentaine (il est né en 1927). Que faire de toute cette sagesse accumulée, de cet agenda conséquent, de ces observations engrangées au fil des rencontres, que faire sinon un article voire un livre ? Nourissier va faire les deux et se lancer dans un numéro auquel les années n'ont rien fait perdre de sa tenue et de sa justesse, un numéro d'acrobate où en un seul volume il va évoquer l'apprenti écrivain et le monde qu'il s'apprête ou tout au moins voudrait investir et conquérir. Le résultat est ce délicieux chiens à fouetter, lettre d'un débutant et réponse prolixe du Grantécrivin dont il a sollicité l'avis. D'abord les quelques pages insolentes et poseuses d'un Tourangeot qui croit aux vertus du tapage et s'est persuadé que pour réussir il faut oser. Ensuite la réponse, exhaustive, documentée, incisive, frôlant la méchanceté sans s'y complaire, citant tous les noms du microcosme et leur taillant un joli costard dans la toile qui leur convient le mieux, d'un vieux routard à qui on ne l'a fait plus mais qui y croit encore, un La Bruyère au style Grand Siècle qui a inventé une typologie et y installe tous les acteurs de la place, du premier rôle indétronable aux jeunes premiers en embuscade. Le culot est que Nourissier cite nommément ces messieurs (les dames sont encore bien rares), éditeurs, critiques, plumitifs, maîtres et serviteurs, esclaves et affranchis, tous y passent, griffés d'un coup de plume précis, dévissés d'un coup d'épaule ou absous du bout des lèvres. Beaucoup ne diront pas grand chose à ceux qui ne sont pas familiers du monde des Lettres de ce temps, un temps où les revues littéraires avaient grande importance, un temps où les critiques vous bousillaient une carrière en un paragraphe (maintenant ils aimeraient bien mais plus personne ne les prend au sérieux, la mascarade des connivences et des renvois d'ascenseur étant tellement visible), un temps où le marketing, initié par Julliard notamment, n'en était qu'à ses balbutiements, mais d'autres ont franchi les décennies et sonnent à nos oreilles surprises de constater que le monde de l'édition bouge moins vite que n'importe quel autre milieu. Ceci dit, quand bien même ils ne seraient que des noms, c'est la ronde qu'ils forment qui donne à cet ensemble sa tonalité, sarabande feutrée où l'ironie reste légère malgré la férocité des personnages, et on est évidemment tenté de faire le parallèle avec notre époque où tout va beaucoup plus vite, où les maisons d'édition sont devenues des sociétés à capitaux internationaux, où les critiques littéraires ont cessé de faire trembler, où les auteurs rêvent de passer sur Canal + où on leur laissera dix secondes pour répondre à une question inepte qui doit permettre aux animateurs de faire une plaisanterie applaudie par trois rangées de veaux disciplinés (ceci dit faire applaudir des veaux n'est pas sans mérite au point de vue naturaliste). C'est aussi ce regard d'un jeune auteur chaussant les lunettes d'un vieux, mêlant la malice du renard usé à celle du jeune loup rusé. On ne saurait trop conseiller à nos jeunes félins ambitieux du clavier ce voyage sans risque : à défaut d'affermir leur(s) caractère(s), il leur rappelera que les fables des anciens ne sont pas si vaines qu'ils le croient.

PS : Nous n'avons pas encore pu voir le jeu de l'oie qui accompagnera l'édition mise en vente fin août. Il est signé Maurice Henry pour les illustrations.

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