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Coma élitiste

1566_coma-elitiste
Une actualité de David V.
Publié le 24/08/2013

Marc-Antoine MuretM.A.M. ? Initiales prodigieuses d'un poète oublié. Marc-Antoine Muret fut un des grands noms de la littérature du XVI° siècle. Né en 1526, mort en 1585, il traversa un siècle heureux et violent avec son appétit, ses colères, ses tentations et ses dépits, souvent douloureux. Ce personnage oublié par l'histoire, qui fut ami et exégète de Ronsard, professeur de Montaigne lorsqu'il résida dans notre bonne ville est devenu le héros de ce qui aurait pu être le dernier roman de Gérard Oberlé, un héros plein de vie que la vie abandonne et que l'agonie pousse à se confier au papier. L'ironie des Lettres veut que nous avons bien failli hériter d'un roman posthume car Oberlé, ce bon vivant, jouisseur de mets et de mots, ce grand bibliophile qui échappe à la malédiction du dessèchement si courant en ces milieux a bien failli passer l'arme à gauche avant l'été, happé par un coma dont il a finalement chassé le fantôme. Cela nous vaut une double résurrection, celle du poète raconté avec verve et haut style et celle du romancier dont nous goûtons depuis longtemps les envolées. Alors profitons de cette bonne nouvelle et donnons envie de pénétrer au coeur de la vie d'un érudit qui mit du talent à essouffler ses désirs et du désir dans le souffle de son talent (aïe...). Ces Mémoires sont en fait une longue et sinueuse confidence à un être aimé, un neveu, seul dépositaire d'une mémoire qui se sent proche de divaguer, une plongée en apnée dans cette Renaissance pleine de bruits de furieuses odeurs. Et Oberlé a choisi pour en évoquer le suc une langue pleine de miel à même de nous rappeler les tonalités de l'époque, mélange de raffinement et de sauvagerie, sanguine quand il s'agit d'évoquer les flots de sang que les guerres de religion firent couler mais aussi quand il faut dépeindre les bacchanales effrénées auxquelles se livrent gueux bien bâtis et poètes bien sentis, au risque du bûcher qui dresse ses flammes menaçantes et aussi excitantes dans le ciel d'un Paris violent et passionné. Car c'est bien la passion qui préside aux destinées de ce Marc-Antoine ayant pour seul empire ses humanités et des envies de beauté qui feraient renaître la grandiose antiquité. Longeant un gouffre qui le menace car la sodomie se paie comptant dans la fournaise, subissant le poids des honneurs et celui des bannissements, exilé permanent car la fuite seule parfois permet de sauver sa peau, Muret est un fuyard de haute lignée qu'on condamnera en France avant de le placer très haut en Italie où le Pape sait oublier les moeurs honteuses pour ne plus entendre que la voix qui s'élève d'un cerveau toujours vif. Bien sûr, le Lagarde et Michard en prend un petit coup, car on ne dit pas -et c'est dommage, il y aurait là moyen de capter l'attention des lycéens ennuyés- que Ronsard célébrait le bouc sans songer à la rose ou que Jodelle faisait sa putain pour apaiser son inextinguible faim de chair fraîche et solide. Mais un livre aussi alerte, aussi enlevé, aussi fiévreux ne peut côtoyer les sages manuels (on y est manuel d'une autre façon...) et c'est son tempérament et son alacrité qui nous empêchent de le lâcher, pierre brillante dans le jardin convenu et mortellement triste du roman historique. Bienvenue dans le coma élitiste et troublant du bel Oberlé !

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