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"Comme toujours en Russie, quelque chose clochait..."

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Une actualité de Fleur Cattiaux
Publié le 09/05/2013

Edouard Limonov - Mes prisons"Aujourd'hui, près de un million de personnes, 893 600 très exactement, sont détenues dans les prisons russes. La durée moyenne d'incarcération varie entre neuf et dix ans", tels sont les premiers mots de Mes prisons, le dernier livre d'Edouard Limonov (1), paru aux éditions Actes Sud. Ils sont extraits de l'avant-propos du livre, un texte court mais terriblement saisissant signé par sa compatriote et écrivain de renom Ludmila Oulitskaïa (2). Le ton vous est donné, aucun risque de méprise. Ce livre est un témoignage, celui qu'a rapporté de ses deux ans d'incarcération l'une des figures de proue du Parti national-bolchevique. "Vous me l'avez demandé, j'écris pour vous les gars, vous les hôtes des oubliettes", explique-t-il dès le début, en repensant à ceux qui lui ont soufflé l'idée de ce projet - des prisonniers qui auraient aimé être en mesure de relater leur expérience eux-mêmes, mais qui ne se sentaient pas à la hauteur. Ils ont donc appelé le zek Savenko (3) à témoigner, lui qui n'était pas seulement un homme politique, mais avant tout un écrivain. Il a exaucé leur voeu et pris la plume pour raconter - son interpellation (4), son procès, le centre pénitencier de Saratov, à quelques 700 km de Moscou, mais également ses rencontres, d'autres prisonniers politiques  ainsi que des droit commun, des assassins, des délinquants sexuels... Il nous livre alors un texte à la fois personnel et moral dans lequel il parvient à mettre en évidence avec brio les mécanismes de l'escroquerie institutionnalisée, faisant par là-même plonger le lecteur dans les arcanes de la démagogie.

Bien que très engagé, ce livre ne consiste pas pour autant en un simple pamphlet contre la Russie de Vladimir Poutine. Il a toute sa place dans le rayon littérature. Dès les premières pages, l'on est sensible non seulement à la fluidité et à la richesse de son écriture, mais aussi à l'impressionnante force vitale qui s'en dégage. Ecrit dans une langue parfois crue, mais toujours maîtrisée, incisif, mais juste ce qu'il faut, Mes prisons apparaît en un mot comme un livre incroyablement percutant (pour aller plus loin, cf. le superbe dossier du premier numéro de la revue Vingt et un, intitulé "Le dernier des possédés").

"Il est incontestable que les prisons russes renferment la partie la plus énergique de la population de la Russie. Il est incontestable qu'un certain nombre de citoyens seront toujours incarcérés quel que soit le régime. Mais un important pourcentage des détenus le sont parce que l'Etat ne sait pas mobiliser à son profit l'énergie et la volonté de la partie impétueuse de sa population."


(1) Né en 1943, Edouard Limonov est écrivain et homme politique franco-russe. Il est connu en Russie pour avoir dirigé le Parti national-bolchevik, parti nationaliste fondé par Alexandre Douguine en 1992. On lui doit un certain nombre de textes engagés, dont Le poète russe préfère les grands nègres. (2) Née la même année que Limonov, Oulitskaïa est l'auteur d'un certain nombre de romans et nouvelles, ainsi que des scénarios de films. Son dernier livre traduit en français, Daniel Stein, interprète a été largement plébiscité par la presse.
(3) C'est là son vrai nom - quant à zek, cela signifie détenu.

(4) Cette scène est sans conteste l'une des plus marquantes de Mes prisons. Jugez-en par vous-mêmes :

"Le 5 juillet 2002, ils me descendirent chevelu comme l'abbé Faria, en long survêtement et des sacs à la main, sur le perron de la prison de Lefortovo et je me figeai sur place stupéfait. L'Etat s'aime beaucoup et aime organiser des spectacles à sa propre gloire. Chaque pouce de l'espace de la cour était occupé par des soldats. Et quels soldats ! De jeunes recrues aux jeunes muscles porcins bien saillants (les joues, les cous, les bras nus jusqu'aux coudes - Pumping Iron). Dans leurs mains des mitraillettes high-tech d'extraterrestres comme celles des visiteurs débarqués d'autres galaxies dans Star Wars. Des tenues de camouflage toutes neuves aux manches relevées jusqu'aux coudes, des bottes toutes neuves sentant à plein nez la peau de porc, des casquettes idem aux visières rabattues sur les yeux. La truie mère de ces guerriers porcins, c'est le Grand Empire des soldats à tête de goret, les Etats-Unis d'Amérique. Il serait facile de tirer sur ces marcassins, me dis-je en les examinant dans la touffeur de ce matin de juillet et en plissant les paupières. Tout cela aurait relevé du comique troupier si je ne tombais pas sous le coup d'articles aussi graves du Code pénal."

 

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