Si l'auto-fiction est devenue depuis belle lurette un genre littéraire à part entière, genre auquel certains mettront volontiers des guillemets comme on mettrait une sourdine à une trompette un tantinet tapageuse, elle peut aussi s'avérer source de je(u) inépuisable...
Emmanuel Pons a tué sa femme et il l'avoue : Je viens de tuer ma femme. Après 11 ans de mariage parmi lesquels, les premiers temps, de fougueux moments de passion amoureuse, le narrateur tue son épouse Sylvie à l'aide d'un couteau aiguisé, n'en pouvant plus de ses sarcasmes, de ses remarques perfides, de ses petitesses quotidiennes. Bref, il n'aimait plus ce qu'elle était devenue. Au fil des jours, à la recherche d'un confident et d'une solution au "stockage" de sa chère disparue, Emmanuel renoue avec sa femme des liens jusqu'alors bien distendus pour ne pas dire inexistants. Lors de ses monologues désormais quotidiens face à la porte ouverte du grand congélateur où sa défunte épouse repose provisoirement contrainte et forcée, les états d'âme du meurtrier ne sont bientôt pas loin de ressembler à des regrets...Et si Sylvie n'était pas seule coupable de la déliquescence de leurs relations ?
Quand auteur et personnage portent le même nom, habitent le même petit village de Normandie et qu'ils sont en outre tous les deux artistes peintres, la question de l'auto-fiction pourrait se poser ; de là à penser que l'un et l'autre sont des assassins, il y a là une distance que nous ne pouvons franchir - en l'état actuel de nos connaissances ! Et si, sur son blog, l'auteur avoue tuer sa femme de temps à autre, ceci ne regarde après tout que la maréchaussée.
Ce qui est certain en revanche, c'est qu'avec ce premier roman insolent et particulièrement déjanté, Emmanuel Pons frappe un grand coup, rappelant par son côté aussi macabre que jubilatoire le très prometteur Mort aux cons dont nous avions dans cette même page signalé la sortie en poche avec enthousiasme. Avec un sens de la formule réjouissant, un humour noir qui joue sur la frontière du mauvais goût sans jamais basculer dans le tout à fait ignoble, -rappelons tout de même qu'en la matière, chacun est libre de mettre la frontière là où il le souhaite et que les âmes sensibles devront peut-être y réfléchir à deux fois avant de lire ce court roman qui suscitera bien des fantasmes...-, Emmanuel Pons vous conduit sur les chemins de la folie meurtrière comme si vous ne deviez aller qu'au bout de votre rue : tranquillement, en toute confiance. Maris et femmes ne vont décidément plus se regarder de la même façon...