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Crimes exemplaires

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Une actualité de David V.
Publié le 19/03/2016

crimes.jpgAttention, ne pas confondre : Ferdinand von Schirach n'est pas plus le cousin germanique de Bernadette Chirac dont on se souvient du grand succès commercial à défaut de littéraire que le fils de l'immonde Baldur von Schirach, chef des jeunesses hitlériennes (en fait c'est son petit-fils...). Le monsieur, né en 1964 à Munich, a donc un patronyme difficile à porter, cela ne l'a pas empêché de connaître un énorme succès avec un recueil qui paraît aujourd'hui chez nous en plein salon de l'agriculture. Crimes pourrait être rapidement cantonné dans la catégorie des livres de nouvelles, de quoi le saborder pour les français qui, décidément, boudent ce genre intelligent mais le fil narratif lui donne une unité qui le sauvera : c'est toujours la même personne qui raconte, qui ne dit rien d'elle ou presque, et qui dévide la suite de ses histoires mortelles mais jamais ennuyeuses. L'homme est avocat, et certains des cas qu'il a croisés au long de sa carrière sont tellement édifiants que, narrés d'un ton qui joue la neutralité (on sait que la neutralité n'existe pas dans les oeuvres littéraires, on la confond parfois avec la nullité qui elle se multiplie), ils nous prennent au ventre et ne desserrent leur étreinte noire qu'après un long moment. Les onzes faits divers que recèlent ces pages connaissent tous un épisode judiciaire, il y a des victimes, des suspects et des coupables mais leur évidence n'est pas aussi sûre : tel qui assassine a été tourmenté jusqu'au drame, tel qui tue n'est pas un criminel, tel qui se défend contre une agression déploie une force de destruction exceptionnelle. Et c'est là toute la singularité de ce livre qui est à Pierre Bellemare ce que Proust est à Guy Des Cars. Derrière chaque crime se dissimulent des mobiles, de complexes architectures psychologiques qu'il convient de scruter avec patience et sans passion (sinon celle de la vérité si difficile à atteindre), avec maîtrise et en refusant le spectaculaire qui a vite fait de s'estomper pour mieux laisser entrevoir la profondeur des destinées et l'horreur des gestes extrêmes. Beaucoup y verront une manière très germanique de distancier le regard, il semble au contraire qu'une forte empathie, dissimulée derrière un style effilé, se manifeste dans chaque histoire, un refus de la condamnation abrupte de celui qui tue. Et cela seule la littérature, loin des pages Société des journaux, des cafés du commerce où le comptoir tient lieu de tribunal, et des reportages sordides à la télévision où le micro-trottoir est supposé mettre du réel quand il ne fait que témoigner de l'universelle sottise, peut le réussir : transcender le mal pour créer du trouble, faire tressaillir en nous l'idée de la justice.

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