"Plus on s'élève et plus dure sera la chute." Ce proverbe chinois traduit une vérité pour le moins implacable, dont il semblerait bien que Metin Arditi ait souhaité apporter la preuve par l'exemple. Avec son égo surdimensionné, son narcissisme aigu, son orgueil démesuré et ses colères intempestives, Alexis Kandilis agace autant qu'il fascine. Indéniable mélomane, et ce depuis son plus plus jeune âge (parler de sa plus tendre enfance semblerait plutôt déplacé étant donné les tragédies qu'elle a comportées), il a écouté les conseils de sa mère et a renoncé à devenir compositeur pour embrasser une carrière de chef d'orchestre. Et quelle carrière ! A l'heure où s'ouvre le roman, notre homme est au sommet de sa gloire. Il est reconnu aussi bien par ses pairs que par le public, qui l'ovationne avec toujours plus de ferveur à chacun de ses concerts. Et surtout, il s'apprête à recevoir la consécration ultime dans le milieu, à savoir un contrat avec la World Music Corporation grâce auquel il enregistrera une intégrale de Beethoven avec les Berliner Philarmoniker, soit dix CD pour seize pièces - le fameux B16. Ce sera l'apogée, le sommet, la puissance et la gloire. Il y est déjà. Il le savoure déjà, ce B16. Après tout, il faudrait être fou pour le confier à quelqu'un d'autre ! Sauf que voilà, un malheureux grain de sable va suffire à gripper l'engrenage. Comment aurait-il pu soupçonner qu'une brimade a priori anecdotique pourrait lui causer autant de tort ? C'est ainsi que notre homme va se voir rappeler que rien n'est jamais acquis et que tout peut basculer du jour au lendemain. Son hybris ne restera pas impuni. Si ce ne sont pas des dieux, c'est néanmoins un cercle d'hommes très puissants qui se fera une joie de se charger de sa némésis et de lui donner une belle leçon d'humanité.
Après Le Turquetto, Metin Arditi retrouve l'univers de ses romans précédents, dans lesquels on avait pu découvrir notamment l'institut Aldersen (dans Loin des bras), où Alexis Kandilis a fait ses armes, ainsi que le violoniste Aldo Neri, dont il avait relaté les déboires dans La pension Marguerite. Avec sa construction narrative impeccable et son grand sens du rythme, ce Prince d'orchestre s'impose sans conteste comme l'un des romans les plus efficaces de cette rentrée littéraire.
F.A.