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De la flexibilité des miroirs

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Une actualité de David V.
Publié le 09/05/2013

regis-messac.jpegLa postérité sait être injuste, on s'échine à le répéter dans ces pages où nous prenons plaisir à signaler d'heureuses rééditions. Elle n'a pas été tendre avec Régis Messac qui est mort dans d'horribles conditions pendant la dernière guerre, laissant une oeuvre fantastique aux bons soins de ses héritiers avec la mission de la sauver et de la faire connaître. Après une longue période où son nom se transmettait de bouche à oreille avec des frissons d'excitation mais dans le constat qu'il était impossible de rien se procurer, les années de vache maigre s'achèvent. A la suite de Quinzinzinzili, réédité par une petite maison du cru, qui est peut-être son chef-d'oeuvre, "un roman affreusement drôle et désespéré" pour reprendre les mots du Canard enchaîné, les Editions Ex nihilo animées par le petit-fils de l'auteur et la Société des Amis de Régis Messac se lancent dans une campagne ambitieuse de réhabilitation de l'oeuvre incroyablement variée, profuse et intelligente de cet homme qui avait compris bien des choses avant les autres et qui sut dans des romans, des essais ou des articles mettre à profit sa formidable érudition pour en tirer des textes qui ont résisté au temps. Trois livres, pas moins, constituent l'actualité messaquienne en librairie ce mois-ci. Nous n'évoquerons pas, pour ne pas les avoir encore lus, Micromégas et Premières utopies, deux études sur la Science Fiction et l'idée d'utopie. Mais nous n'avons pas tardé à nous emparer du Miroir flexible, roman dont Ex nihilo nous propose la première édition en volume car il n'était paru qu'en feuilleton dans la revue des Primaires en 1933. Qu'on se rassure, il ne s'agit pas le moins du monde d'un fond de tiroir exhumé pour profiter d'une notoriété qui reste d'ailleurs à confirmer. Non, Le miroir flexible est un véritable roman, admirablement construit, contrairement à ce qu'annonce la narratrice qui se réfugie derrière son inexpérience littéraire pour justifier son récit décousu, un roman étrange qui marie l'intrigue policière à la chronique sociale, la réflexion scientifique à la satire la plus mordante. On y retrouve le charme vénéneux de Messac qui fut toute sa vie un combattant pour la vérité et un ennemi impitoyable de la bêtise et qui sut, malgré les risques, ne jamais mâcher ses mots à l'égard d'une société parfaitement aliénante sans renoncer, et c'est ce qui fait sa force, à une ironie recouverte d'élégance. L'histoire se déroule au fin fond des Etats-Unis où Joseph Favannens, savant suffisamment riche pour se lancer dans des expériences loin du tumulte, a trouvé ce qu'il croit un refuge pour développer ses théories. Il vit avec sa fille, la très cartésienne Geneviève et se contenterait volontiers de son productif isolement si un fait divers brutal ne venait bouleverser sa tranquillité. Un homme a été retrouvé mort à côté de sa propriété et personne ne comprend rien à ce crime sans mobile ni suspect. Le Ku Klux Klan local, "composé de clerks indéfiniment opprimés" qui se métamorphosent "pour quelques heures en seigneurs redoutables, en fléaux de dieu, en justiciers, en représentants de la race élue, en maîtres du monde", bref une assemblée de redoutables crétins a eu vite fait de lyncher un pauvre noir avant de connaître une inattendue déroute face à un monstre, un serpent gigantesque. On en restera là de l'histoire pour ne pas dévoiler des ressorts qui valent le détour ni résumer ses réflexions sur l'humanité et son rapport à la machine. Car le grand talent de Messac, en pédagogue convaincu, est de ne jamais ralentir son action par de la théorie et d'éclairer précisément ses idées par de la matière littéraire. Son style, fluide et jamais pris en défaut, est toujours au service d'une idée qu'il ne submerge pas. On s'immerge quant à nous dans son histoire et on en ressort plus intelligent... Les amateurs de S.F. qui ont eu un peu tendance à faire de lui l'un des "leurs" au risque d'effaroucher un public que cette matière inquiète devraient enfin, il est temps, être rejoints par l'autre public, le vaste, qui distinguera peut-être enfin en Régis Messac ce fameux maillon manquant entre Jules Verne et les contemporains.

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