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Derrière les barreaux

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Une actualité de David V.
Publié le 09/05/2013
Georges Arnaud  Schtilibem 41
Les amateurs de faits divers n'ont pas oublié l'incroyable histoire à laquelle fut mêlé l'écrivain Georges Arnaud (1917-1987), célébrissime à la suite du succès du Salaire de la peur, et qui, bien avant cette gloire littéraire, passa près de deux ans en prison durant la deuxième guerre mondiale dans l'attente d'un jugement où il risquait rien moins que sa tête. A l'époque, il n'était qu'un jeune homme cherchant sa voie plus ou moins docilement, recherchant surtout de quoi assouvir son goût pour les plaisirs sans les moyens adéquats. Fils de famille, jouisseur invétéré, il avait peu d'excuses et carrément pas d'alibi à produire quand on l'arrêta pour un triple meurtre atroce au coeur du Périgord à Escoire, d'autant que le jeune homme toujours sur les lieux du crime ne semblait pas manifester une émotion à la hauteur de la barbarie déployée (n'a-t-on pas dit qu'il chantonnait ?) : trois membres de sa famille massacrés à la serpe, son père Georges Girard, sa tante et une domestique (certains parlent même du chien, fumeuse information jamais vérifiée comme beaucoup dans cette ténébreuse histoire). Les circonstances de ce crime sans témoin et sans effraction le menèrent tout droit en prison avant un incroyable procès en 1943 où le célèbre avocat Maurice Garçon parvint non seulement à sauver sa tête mais à le faire acquitter. Dans l'attente de son jugement, il croupira en prison, sans doute convaincu de ne plus en sortir sinon pour un bref dernier voyage. Et c'est peut-être là, dans cette antichambre de la mort que sa vocation d'écrivain le touchera. On ne saura pourtant jamais le fin mot de l'histoire, Gérard de Villiers prétendra d'ailleurs avoir obtenu sur le tard du suspect idéal des aveux. Vous pouvez retrouver sur le site de France Culture une passionnante émission sur ce que l'on a appelé "l'Affaire d'Escoire".
Mais revenons à notre actualité puisque les bordelaises et excellentes éditions Finitude ont eu l'idée de rééditer avec le soin qu'on leur connaît le court livre Schtilibem 41, préfacé par Pierre Mac Orlan (une préface qui n'en est pas une mais une belle initiative tout de même) et qui, sans être le récit de son expérience de taulard, en est surtout la furieuse expression, le cri de révolte d'un homme qu'on a voulu briser et qui trouve dans l'écriture un exutoire cinglant. Georges Arnaud a choisi d'utiliser l'argot, cet idiome des irréguliers, et de le mélanger à un style haché, heurté, à même de témoigner de la violence qui règne derrière les hauts murs. "Schtilibem" veut d'ailleurs dire prison.
Exemple de cet emportement et de cette rage, de cette musique grinçante qui parcourt tout le livre :
"C'est toquard une taule, c'est nu, sale froid ; un grand hall, verrière vitrée de trois étages, un donjon fortifié par en dedans - tout est à l'envers ici. Autour du donjon, les trous noirs, peuple qui grouille, c'est nous ; peuple qui fouille le noir et n'en retire jamais que dalle ; peuple qui n'y voit pas clair et ça vaut mieux pour lui.
Peuple des taulards qui tournent en rond l'un suivant l'autre dans le demi-noir des salles communes. Tous les taulards en piste, piquez le dix, frangins, tournez. La vie sans fin, mais ça n'existe pas à côté de ce que nous savons faire. Voyez-nous tourner, bagottant, gambergeant, croule les ans, nous y userons notre sang, tout le sang par en dedans, à bagotter, à tourner, gamberger."
Et si vous ignorez le sens de "bagotter", reportez-vous au glossaire de fin de volume, petite mine d'or argotique et alphabétique qui vous permettra de ponctuer de tours bien sentis votre canaille conversation. Livre aussi bref que coupant, effilé comme une lame, Schtilibem 41 a l'acidité des fruits trop verts. Sans doute cette verdeur dont Arnaud ne se débarrassera jamais, toujours prêt à la rixe, au combat, à défendre la cause perdue, à se laisser remettre les menottes honnies pour qu'on l'entende.
On annonce pour bientôt un épais Omnibus de tous les romans de sa plume : le purgatoire du beau Georges aurait-il enfin pris fin ?
L’affaire Girard  Albin Michel

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