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Des Femmes à l'Est

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Une actualité de Monica
Publié le 16/01/2018
Cet hiver la littérature de l'Est est portée par des femmes: Żanna Słoniowska, Irina Teodorescu, Lenka Horňáková-Civade
 
En cette période plutôt sombre à l'Est de l'Europe, une raison d'avoir le sourire : la littérature.
Malgré les 28 ans qui nous séparent de la chute du Mur, la méconnaissance de l'Europe Orientale reste presque intacte à quelques idées préconçues près.
Il est là l'intérêt de la littérature et du partage d'expériences « d'ailleurs » : ouvrir les perspectives et donner de la matière aux réflexions qui nous animent tous. Au-delà d'une importance documentaire certaine, on découvre en lisant les auteur(e)s venu(e)s de l'Est de l'Europe un univers, un style, une langue magnifiques. L'onirique n'est jamais très loin malgré la tragédie qui se décèle entre les lignes lorsqu'elle n'est pas carrément nommée.
Cette rentrée d'hiver me remplit de joie car la collection Delcourt Littérature vient de se lancer avec un magnifique titre, Une Ville à Coeur Ouvert, écrit par Żanna Słoniowska, Irina Teodorescu publie un nouveau roman aux éditions Gaïa, Celui qui comptait être heureux longtemps et le premier février les éditions Alma feront paraître le nouveau titre le Lenka Horňáková-Civade, Une verrière sous le ciel.
Une ville à cœur ouvert a été (magnifiquement) traduit du polonais. En ce qui concerne Irina Teodorescu et Lenka Horňáková-Civade, elles écrivent en français.
Elles écrivent ? Elles dansent la langue française à l'instar de Dmitrij Bortnikov qui lui avait presque donné un nouveau souffle dans Face au Styx paru chez Rivages il y a un an, en décrivant les pérégrinations d'un jeune Russe à Paris et ailleurs.
Żanna Słoniowska est Ukrainienne d'origine et écrit en polonais. On suit le balancement à travers l'histoire de cette Ukraine, aujourd'hui encore en peine et en sang, retranscrit par la lignée de quatre femmes, des « poupées russes » racontées par l'une d'entre elles, narratrice contemporaine, main dans la main avec un autre personnage principal, la ville de Lviv (Lwow/ Lemberg, Leopolis)
« Qu'est-ce que tu ferais si une guerre polono- ukrainienne éclatait aujourd'hui à Lviv ? ai-je demandé.
-Je me tirerais une balle dans la tête, a répondu Miko sur un ton qui ne laissait aucune place au doute. »
Comme Żanna Słoniowska le dit si clairement, l'Histoire rentre en nous, elle ne tape pas à la porte, elle ne demande pas la permission et lorsqu'il s'agit de l'histoire de quatre générations sous un même toit, cela fait beaucoup.
Une ville à cœur ouvert est difficile à résumer : il y a l'histoire, il y a le présent qui commence avec la fin du roman, il y a de l'amour, de l'art, de la passion. Il y a l'engagement et le rejet, la famille et ses secrets. C'est un roman-monde qui nous montre que nous pouvons aimer un pays, une langue, sans tomber dans les écueils du nationalisme. Mais que nous pouvons en mourir.
Chez Irina Teodorescu les choses sont différentes : le pays n'est pas nommé, en revanche, une fois la Nouvelle Société installée, après la guerre, Monsieur/Madame n'existent plus, remplacés par « Quidam » Un Tel, « Quidam » Une Telle. On reconnaît facilement le fameux « Camarade » qui remplaçait toute autre formule de politesse dans les pays de l'Est avant la chute des régimes communistes. La politesse devient politique.
Le personnage principal dans Celui qui comptait être heureux longtemps est un homme, Bo. Mais dans sa vie les femmes ont une importance capitale, à commencer par sa mère, Ala, qui pose tendrement sur lui, à peine né, le qualificatif fatal : « petit traître ».
La langue d'Irina Teodorescu est joueuse, elle raconte le réel en le faisant basculer dans une sorte de fantastique presque joyeux, l'ironie est douce et pourtant les effets en sont violents :
« Pendant sa petite enfance, la Nouvelle Société tuait ses ennemis avec son pistolet, pam pam pam, s'amusait-elle pendant les premières années d'après-guerre, et on laissait les morts dans la rue le matin, pour l'exemple, pour que les passants enjambent les corps en allant au travail. Belle courbe de croissance, s'était félicité le Haut Commanditaire devant les résultats présentés par ses généraux sur des grandes feuilles quadrillées, vraiment très belle ! Nos quidams ont peur, ils font des cauchemars tous les soirs, avaient murmuré les généraux et au bout de quelques années le Haut Commanditaire avait fini par demander un peu de subtilité, un peu d'inventivité, s'il vous plaît, à l'International nous devons démontrer la force de notre philosophie ! Gardez la peur au plan local, bien entendu, mais également développez les matériaux créatifs, les cerveaux, messieurs, les cerveaux, qu'à l'extérieur on nous respecte, qu'on nous craigne, qu'on leur montre les capacités de notre génie national ! »
Non, ce n'est pas une dystopie. Et il est là, le talent d'Irina Teodorescu, dans sa capacité de rendre anonyme une société pré-existante. Même les noms de ses personnages sont lisses : Bo, Di, Vass, Noc, Vup, Sot.. il y a cependant Irenn, la femme qui influera tellement la vie du quidam Bo Go, qui porte un nom « entier ».
Tout est fait pour que le lecteur ne puisse pas mettre un nom sur le pays où se déroulent les faits, ce qui rend le récit universel.
La vie, la mort se côtoient dans le roman d'Irina Teodorescu dès le premier chapitre. Et la vie est souvent gagnante. A quelques exceptions près.
Mais lorsqu'elle gagne, la vie, elle explose dans toute sa splendeur : il y a de l'amour, de la passion, du jazz, de l'alcool, aucune dictature ne parvient à museler la vie complètement. Et il est là, peut-être le message le plus important.
Pour son deuxième roman, à paraître le premier février, Lenka Horňáková- Civade fait un pas en avant : si dans Giboulées de soleil (chez Folio début mars) elle racontait magnifiquement la vie de trois femmes, depuis l'annexion de l'Autriche par les nazis jusqu'à la Tchécoslovaquie occupée par les « camarades communistes », trois « bâtardes » s 'érigeant devant une vie dont les hommes sont absents, avec Une verrière sous le ciel elle gagne la France sous les traits d'une jeune fille qui profite d'une colonie de vacances pour fuir la Tchécoslovaquie à la fin des années 1980.
La langue se fait plus poétique, le rêve n'est jamais très loin, comment fait-on pour intégrer une société dont on ne connaît que le fantasme surtout lorsqu'il s'agit d'un Paris où la Fête de l'Huma' est un vrai événement ? Anna, « celle qui vient de naître » doit apprendre un autre monde. Entourée par des personnages fantasques, cosmopolites, bienveillantes, la chrysalide devient papillon, mieux que cela, devient femme. D'abord muette, elle commence par écouter, pour ensuite se fondre dans sa nouvelle langue.
Muse, elle marche dans les pas de Grofka, La Femme qui lui aura montré le chemin.
Une verrière sous le ciel est presque un poème pour la liberté. En le lisant, vous avez comme une envie de réciter les phrases à voix haute. De prendre Anna par la main.
Voilà trois femmes qui font de la littérature une passerelle, d'elles à nous. Ne détournez pas le regard, vous en serez perdants.

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