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Dieu sait pourquoi

840_dieu-sait-pourquoi
Une actualité de David V.
Publié le 09/05/2013

Jacques ChessexOn a longtemps mégoté sur le talent de Jacques Chessex qui a connu sans doute trop tôt le succès pour n'être pas immédiatement catalogué. Pensez, un Goncourt quand on débute, il y a de quoi compromettre une carrière d'écrivain. Pensez aussi que ce monsieur est Suisse, ce qui fait de lui un francophone, avec la très légère pointe d'apitoiement ou de compassion que ce vocable entend dans la bouche d'un Français. Depuis quelques temps on s'est un peu repris de cette attitude négligente : on lit enfin Chessex et il a même fait de très bonnes ventes avec ces deux derniers livres, Pardon mère et Le vampire de Ropraz, tous deux chez Grasset son éditeur depuis longtemps (L'ogre date de 1971). Le Vampire nous avait pour le moins bousculé, inscrit dans une collection animée par Jérôme Béglé "Ceci n'est pas un fait divers" (c'est écrit en tout petit sur le rabat de la jaquette : peur de faire peur ?...), qui abritait déjà deux expériences malheureuses signées Philippe Besson et David Foenkinos. Plongée dans la Suisse étroite d'avant-guerre, ce récit suivait les traces d'un violeur de cadavres avec un ton rappelant le génial Roi sans divertissement de Giono (si vous ne l'avez pas lu, interrompez tout, c'est un grand roman du XX° siècle et il reste scandaleusement négligé!). Suivant le même principe, Jacques Chessex a renouvelé avec autant de réussite une entreprise qui prenait sa source dans un souvenir ancien, de ces histoires obsédantes qui vous poursuivent une vie entière. Quoique isolée de la folie qui ensanglanta l'Europe, la Suisse ne fut pas épargnée par les tremblements et les furies dont on la croyait épargnée. Plaque tournante de l'espionnage, tentée par tous les excès, elle n'échappa pas aux pires tentations qu'elle s'évertua ensuite, avec le talent que l'on sait, à occulter au fond d'un profond coffre mémoriel.

Le monstrueux fait divers que nous rapporte Chessex se déroule dans ce pays cossu du canton de Vaud où l'on se moque encore des privations. Payerne, gros bourg dont est originaire l'auteur, est le pays des charcutiers rois, des bouchers princiers. Une misère y traîne ses guêtres, elle est faite de rancoeur macérée, de religion dévoyée, d'oisiveté putréfiée. Fascinés par leurs voisins nazifiés, quelques crapules associés à quelques brutes ambitieuses ont fait le pari qu'un national socialisme pouvait germer et croître en terre helvète. Leur reste à édifier une population qui compte plus ses sous que ses idées.  Ils sont bêtes, ils sont veules mais encouragés par un aburde rêve de gloire. Pour le mériter,un petit groupe mené par un de ces puissants débiles qui prennent leur force pour de l'habileté et un manipulateur dévoré par son délire de puissance mais réfugié derrière son habit de pasteur vont organiser un exemple qui leur vaudra l'estime des Allemands puis leur reconnaissance quand l'heure aura sonné de récompenser les précurseurs : saigner un juif pour terroriser et marquer les esprits. Un gros négociant en bétail fera l'affaire. A partir de cet argument, Chessex va reconstituer avec précision et sans ces fioritures qui rendraient son idée insupportable le déroulement du fait divers. Implacable, contenu, précis, Un juif pour l'exemple démonte le mécanisme fou de l'horreur quand elle est le fait de petits esprits bornés et imperméables à la raison pour ne pas parler du coeur. Les dernières pages de ce court roman justifient à elles seules qu'on ait accompagné cet écrivain dans son éprouvant travail de mémoire avec un épilogue personnel pour le moins surprenant. Si "Dieu sait pourquoi", il nous reste encore à nous, sans fin, à tenter de comprendre l'insoutenable.

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