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Du bucheron à l'ébéniste

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Une actualité de David V.
Publié le 04/04/2013

Si l’on veut bien considérer que la littérature représente une vaste forêt au milieu de laquelle le lecteur craint tellement de s’égarer qu’il reste avec prudence en lisière, lisant ce que tout le monde lit, s’abritant sous les mêmes branches pour se rassurer et penser qu’un livre n’est pas fait pour déranger, il faudra compter avec ceux qui n’ont pas de ces peurs et s’aventurent au cœur des bois les plus denses pour en ramener des essences rares, des souvenirs forts, des découvertes intenses, voire, simplement, de ces plaisirs modestes qui justifie tous les égarements. Eric Dussert est de ceux-là qui arpente depuis longtemps les terres ignorées du passé, fréquente les cimetières aux croix effacées, fouille dans les bibliothèques vouées à la poussière pour en exhumer des noms, des titres qu’il sauve d’un oubli pas toujours injustifié mais souvent injuste. Le Matricule des Anges accueille depuis vingt ans ses chroniques (« Les égarés, les oubliés »)  qui ont permis de remettre à l’honneur Jean Duperray, Marc Stéphane, Fernand Combet, Bienvenu Merino, Edouard Estaunié, Henri Roorda, Tristan Derême, Eugène Chavette, André de Richaud, … on aurait envie de tous les citer ces 156 rescapés que la plume aiguisée de Dussert, dont il faut louer les belles qualités stylistiques, réinvente en nuances et sans cet aveuglement béat qui nuirait à son entreprise, ces vies dédiées aux Lettres, vaincues, comme le dit Claire Paulhan, par « une postérité désastreuse » . Aucune prétention universitaire chez lui, point de salmigondis de théories fumeuses, mais l’expression sans cesse renouvelée d’une foi dans cette littérature d’humbles pas nécessairement modestes, un usage immodéré du « nasomètre » qui se substitue au dépouillement exhaustif, une curiosité sans fin envers ces dédaignés pour essayer de saisir où s’est fait la coupure, la rupture. Pénétrer dans cette forêt cachée a quelque chose de joyeusement excitant, on voudrait tout de suite aller chercher l’oeuvre de tel ou tel en croisant les doigts pour qu’un éditeur assez inconscient l’ait réédité (à perte bien sûr…). Les surprises n’y manquent pas et si Eric Dussert s’était fixé comme objectif de faire lire à son lecteur « un auteur qu’il ignorait », on peut gager qu’il va susciter des vocations de promeneurs sinon de joyeux bûcherons. Les grands Pascal Pia, Hubert Juin et François Caradec se sont trouvé un digne successeur qui n’a pas fini de nous étonner. Une forêt cachée est édité par La Table Ronde.

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