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Faut pas prendre les canards sauvages pour...

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Une actualité de David V.
Publié le 09/05/2013

Honte et dignitéHonte et dignité, voilà un titre qui, comme on dit, en impose : s'agirait-il d'un essai de moraliste protestant venu du froid ? du slogan d'une équipe de football norvégienne naufragée dans son championnat ? de la devise ambiguë d'une cité nordique en mal de publicité et soucieuse de provocation ? Rien de tout cela puisqu'il s'agit du titre de la dernière découverte d'un éditeur dont on ne parle pas assez dans ce blog malgré l'intérêt prononcé que nous lui portons et depuis de nombreuses années, Les Allusifs, maison québécoise animée par Brigitte Bouchard avec une vaillance qui n'a d'égale que sa témérité (beaucoup de dignité mais aucun motif de honte…) et à l'origine de quelques découvertes mémorables dont Horacio Castallanos Moya, Roberto Bolano, Pere Calders, Sylvain Trudel, Antonio Ungar, Knud Romer, Giosué Calaciura, Maximilien Durand et nous en oublions de peur d'amoindrir la liste par sa taille…Dag Solstad, son auteur, est, paraît-il, un auteur de grande réputation dans sa Norvège natale où il est né en 1941 : il a à son actif une vingtaine de romans et va pouvoir enfin se faire connaître du public français avec un court roman nommé donc, on l'aura compris, Honte et dignité. Dans la lignée d'un Thomas Bernhard qui est devenue une icône révérée et une référence absolue désormais quand on parle d'introspection torrentielle, Solstad qui ne fait pas parler son protagoniste mais s'invite, omniscient et impitoyable, dans son cerveau affaibli, nous plonge dans les méandres d'une pensée en mouvement heurtée par le réel et sa violence et secouée dans le même temps par la puissance des réminiscences d'une mémoire incertaine. L'anti-héros de ce roman qu'on ne lâche pas (et il ne vaut mieux pas, il n'y a pas de chapitres pour respirer…) se nomme Elias Rukla, il aborde la cinquantaine en vaincu, porté sur la boisson pour supporter sa condition de professeur de norvégien. La journée que nous allons passer en sa compagnie est un moment fatidique de son existence étale : il déraille à la suite d'un cours passé à expliquer  un passage du Canard sauvage d'Ibsen, œuvre profonde qui s'éclaire enfin après des années à tourner autour, ce qui nous vaut cinquante pages étourdissantes d'analyse et d'auto-analyse qui mêle le littéraire et le personnel, qui convoque la grande Littérature en la soumettant au tamis de l'indifférence scolaire. Et de ses "milliers d'heures  jalonnées par autant d'évaluations, de méditations, de spéculations, toutes aussi machinales les unes que les autres", ne sont sauvées que celles, terribles, qu'il s'inflige pour réaliser que sa vie est un patient désastre, convenable et sans relief, un drame qui n'émeuvra personne, et surtout pas sa femme, cette beauté désormais ravagée par l'ennui et l'échec. Honte et dignité est un livre fort, percé d'une ironie qui fait mal mais qu'on ne veut pas abandonner même si l'on a compris que depuis longtemps, depuis le début même, tout est fini.

 Dag Solstad