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Forton nickel

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Une actualité de David V.
Publié le 30/08/2013

Jean FortonY a-t-il encore des gens pour confondre les Forton et s'imaginer que c'est Jean qui était l'auteur des fameux Pieds Nickelés dont on annonce d'ailleurs la prochaine résurrection ? Espérons que non car le Forton qui nous occupe depuis quelques années déjà et que des amateurs se conseillent avec des airs gourmands était bordelais, un de ces fameux et trop méconnus écrivains de l'après-guerre que Patrice Delbourg avait joliment appelé les "désemparés", ces auteurs broyés par l'implacable machine littéraire qui évacue dans les marges les voix modestes qui n'ont pas su faire le tapage qui convenait. Et du tapage, on pourra dire que Jean Forton en aura fait peu malgré son Goncourt manqué d'un poil à cause d'une cabale des Jésuites (si, si, c'était encore possible à l'orée des années soixante...) : L'Epingle du jeu se déroulait dans un collège dirigé par la Compagnie (Saint-Joseph-de-Tivoli pour ne pas le nommer) et le blason de celle-ci en prenait un petit coup. A ce petit coup d'éclat succédèrent quelques années de succès d'estime qui n'encouragèrent pas la maison de la rue Sébastien-Bottin à insister : à la fin de la décennie, Forton était passé du côté des perdants et il ne s'agita pas outre mesure pour combattre cette injustice. On refusa un, deux, peut-être trois manuscrits et rideau. Forton disparut dans la fumée de ses éternelles cigarettes, sans doute amer, à 52 ans, au début des années 80, encore respecté par quelques bons lecteurs mais au bord du purgatoire. Gallimard réimprima bien deux de ses romans, ils mirent vingt ans à s'épuiser, L'Epingle du jeu sortit dans L'Imaginaire (la première édition ignoblement remplie de coquilles fut mise eu pilon, on avait eu chaud...) et puis ce fut au tour des petits éditeurs de prendre le relais, animé par une ferveur exemplaire. Dominique Gaultier du Dilettante qui avait eu l'occasion d'éditer dans la revue Grandes largeurs un inédit du bordelais, s'y risqua le premier et exhuma L'enfant roi, superbe et cinglant roman mettant en scène un jeune artiste couvé par ses parents dans lequel les plus avisés des bordelais crurent reconnaître la figure d'un "célèbre" écrivain mauriacolâtre et cleptomane de leur ville, cela ajoutant au piquant de la découverte. La réussite ne fut guère au rendez-vous. La réédition des Sables mouvants par le même Dilettante ne fut pas tellement plus honorée de lauriers. Forton restait cantonné à son public de 500 lecteurs. C'est avec le recueil de nouvelles inédites Pour passer le temps qu'on vit fleurir quelques articles soulignant l'agréable causticité de l'ancien libraire (car Forton fut libraire, renonçant vite à la littérature pour ne plus vendre que des polycopiés de droit qui lui évitaient de parler...littérature). Et le succès (bien relatif cependant) fut au rendez-vous, lançant dans le même mouvement l'aventure éditoriale de Finitude qui nous régale depuis de magnifiques découvertes. C'est à cette enseigne que parut un second recueil de nouvelles, Jours de chaleur, qui confirma le regain d'intérêt. Mme Forton, la veuve de l'écrivain, qui avait bien aidé pour préparer l'exposition de la Bibliothèque Municipale consacrée à son mari, n'avait cependant pas tout sorti de ses tiroirs. L'insistance des éditeurs bordelais (un duo familial constitué d'un lecteur terrible et rarement content de lui...et d'une compagne amène chargée de se montrer aimable avec les veuves d'auteurs intéressants...) auprès de celle-ci nous permet aujourd'hui de découvrir un roman inédit baptisé Sainte famille (une liberté de l'éditeur car le titre d'origine était Le salut et la grâce : on dirait du Michel de Saint-Pierre... on a eu chaud). Soyons honnête ce n'est pas un chef-d'oeuvre oublié qu'il aurait été monstrueux de dissimuler. En exhaustif lecteur de Forton, on le mettrait même volontiers sur la marche la moins haute : languissant, un peu démonstratif, ce texte vaut surtout par les petits morceaux de bravoure fortonnienne qui au détour d'une page apparaissent, car il avait un vrai talent pour croquer ces demi-bourgeois comme la province en regorge. Et le parallèle avec La cendre aux yeux qui reparaît en même temps au Dilettante n'est guère à son avantage car avec ce roman, variation dostoievskienne sur un petit Don Juan, on a le sentiment que Forton a donné le meilleur de son acidité. Ne cherchez pas dans la postface qui l'accompagne la moindre analyse, il s'agit d'un regard sur la réception du livre à l'époque. Mais ne minorons pas notre joie. Donner l'occasion à de nouveaux lecteurs de pouvoir découvrir l'oeuvre de ce mystérieux bordelais obsédé par le thème de la fuite et de la culpabilité est une vraie bonne nouvelle. Et nous espérons que la vitrine que nous lui consacrons depuis hier suscitera sinon la curiosité du moins l'envie d'aller y voir de près.

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