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Goncourt toujours

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Une actualité de David V.
Publié le 09/05/2013

Atiq RahimiNous n'allons pas faire ceux qui n'y croyaient pas, ceux qui n'avaient pas fait des réserves, ceux qui disaient que c'était trop beau pour être vrai, ceux qui néanmoins se réjouissaient de recevoir l'auteur le 12 novembre (deux jours après !), nous n'allons pas... car nous sommes particulièrement heureux cette année de saluer le Prix Goncourt, un auteur dont nous avions sur ce blog dit le plus grand bien à la sortie de son Syngue Sabour, premier roman écrit en français dans une langue ferme et belle, roman incendiaire sur une femme qui se consume dans sa condition d'épouse, prisonnière d'un univers d'hommes rendus fous par l'intolérance. Nous replaçons ici le modeste petit article que nous lui avions consacré, loin que nous étions à l'époque d'imaginer un tel destin pour un tel livre. Et si tout va bien, vous pourrez écouter sur notre partie podcast la conférence que le nouveau lauréat viendra donner dans les Salons Albert-Mollat mercredi 12 à 18 h.

" Un peu perplexes, nous avons reçu le livre attendu d'Atiq Rahimi et l'avons placé dans le rayon oriental où il fait figure de rare auteur afghan. Perplexes car Rahimi est désormais (ou seulement pour ce livre ?) un auteur francophone, ce que ne nous dit guère le titre Syngué sabour, heureusement sous-titré "Pierre de patience". Notre perplexité a cependant vite cédé à l'inquiétant plaisir de découvrir ce roman qui prend aux tripes et soumet à une série de chocs répétés à mesure que s'en déroule l'histoire.

Au coeur de cet Afghanistan qui avait inspiré Terre et cendres, son livre le plus célèbre adapté au cinéma, nous voici les témoins d'une femme et de sa solitude hantée par des présences hostiles, violentes ou inertes : parce que son imam a décidé que seule la répétition inlassable des quatre-vingt noms de Dieu pourrait tirer son mari du coma où l'a plongé une balle perdue de l'incessante guerre que se livrent les hommes fous, elle est prisonnière de ce corps étendu dans la chambre des époux qui ne répond à aucune de ses prières, aucune de ses exhortations, qui ne cille pas au récit de plus en plus impudique qu'elle lui fait de ses secrets. Murée dans sa maison qu'elle ne peut quitter (alors que la famille a fui sans aucun scrupule), à la merci des bandes de combattants qui, au nom d'Allah, s'arrogent tous les droits et notamment, suprême jouissance, celui de tuer sans rendre de compte, sa voix va prendre peu à peu cette assurance que le désespoir peut donner, se débarrassant des tabous, des interdits comme on se dépouille d'une peau trop sèche, interpellant Dieu et maudissant les mâles et leur terreur qui engendre l'horreur. Ce qui n'était au départ qu'une prière ressassée jusqu'à l'écoeurement se mue en confession sans limite : minéralisé par son silence, le mari devient une pierre, une Syngué sabour, cette pierre de patience devant laquelle une légende prétend qu'on peut tout dire pour obtenir la paix. Et cette voix solitaire et perdue, par la magie d'une langue libérée, devient celle de toutes ces femmes opprimées par des siècles de silence et d'obscurantisme, sa colère devient leur colère, son mépris devant leur art d'humilier et leurs traditions absurdes leur revanche, sa chambre une scène d'où jaillit un chant de libération.

Il n'est pas anodin que ce soit précisément un homme qui se fasse le porte-voix de cette fureur, un homme afghan qui a mis sa langue maternelle entre parenthèses pour donner voix à toutes les filles et toutes les femmes de son pays martyrisé Et si un livre seul, loin des terres qui l'ont enfanté, n'a qu'un infime pouvoir sur le réel, il nous offre, avec des mots simples et forts, la chance d'entendre un cri où se tapit, espérons-le, l'espoir que cesse un jour la folie des hommes ivres de leur puissance. Une pierre de patience dans nos jardins si propres..."

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