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Heartbreak Hotel

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Une actualité de David V.
Publié le 29/05/2013

Si le nom de René Laporte ne parle plus guère aux oreilles des amateurs de littérature y compris la plus obscure, il est temps d'avouer que la postérité une fois encore s'est trompée, et de reconnaître que dans ce combat infini pour la résurrection des voix oubliées Le Dilettante a de nouveau fait l'illustration de son talent. On soupçonne néanmoins François Ouellet, cet universitaire québécois qui possède une connaissance de la littérature du XX° siècle à faire pâlir les plus chevronnés des nôtres, de ne pas y être pour rien. C'est lui qui signe la préface d'un bref roman initialement paru en 1944 aux Editions Littéraires de Monaco puis chez Julliard qui est en fait le propriétaire de la maison monégasque, dix ans avant la disparition précoce à 48 ans de son auteur. On y découvre un peu ce personnage des Lettres, proche des Surréalistes, fondateur des Cahiers libres, romancier durant les années 30, engagé sur le terrain politique avant de basculer dans le combat résistant et d'accueillir nombre d'écrivains pendant l'Occupation. C'est de cette période qu'est daté Hôtel de la solitude, écrit en 1942, qui met en scène Jérôme Bourdaine, jeune homme qui passe pour un coureur-buveur, joueur-bavard mais n'est pas dupe de l'image qu'il renvoie, la plus à même de dissimuler ce que sa conscience nomme un comportement désaxant, et que les vicissitudes de la guerre ont placé à Nice, capitale d'une fausse insouciance noyée dans l'alcool et les faux plaisirs, patrie de la dérision et de l'inconsistance ("Et nous voilà tous comme des vieillards, même les plus jeunes malgré leurs muscles intacts et leurs visages pas encore attaqués (...) tous immobiles, englués, paralysés, à peine bons à brouter, ruminer et remâcher les pauvres herbes de nos mémoires"). Mais le verbe partir s'impose à lui, ce mot chargé d'une poésie devenue improbable qui le pousse vers un mirage, la réputation fanée d'un grand hôtel d'avant-guerre dont la vue sur le Cap Ferrat fit pâlir quelques générations d'insouciants avant, face au désastre, de faire blémir les rares touristes qui osent encore s'en approcher. Car c'est un palace vide qui l'accueille, avec sa carte des vins fabuleuse, ses salons au bord de se ternir, ses patrons devenus tenanciers à la petite semaine qui voient avec méfiance surgir ce solitaire qui ne réclame rien que l'exercice d'une solitude reposante. Seul dans la grande salle de restaurant il désencombre sa mémoire, se repose de lui-même, jusqu'à ce cinquième jour où une silhouette de femme se détache au milieu des tables vides.  Nous apprendrons qu'elle se nomme Zoya, qu'elle attend tout le jour son époux parti en ville faire des affaires, que son accent trahit un parcours qui a ignoré la ligne droite. Un homme et une femme, un vaste hôtel vide, la douceur d'un climat, les heures qui s'allongent, tout est réuni pour un carrousel de clichés que la plume ironique de Laporte fait voler en éclats, réinventant la mélancolie et la douceur d'un amour qui se sait condamné à la beauté du fugace. Hôtel de la solitude possède une musicalité précieuse, petite sonate nocturne qu'un soleil vient par moments traverser. Réservez une chambre, on vous y invite.

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