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Hommage à Hélène Mohone

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Une actualité de Véronique M.
Publié le 16/03/2016

mohonecannibale.jpgRendez-vous demain mercredi 11 mars à 18h dans les Salons Mollat pour aller à la rencontre  de l'oeuvre d'une poétesse bordelaise, Hélène Mohone. Non pas tant que cette célébration ait un lien direct avec la onzième édition du  "Printemps des poètes" qui se déroule en ce moment partout en France (manifestation du 2 au 19 mars et pour lequel le thème retenu est "en rires"), car ici la festivité de circonstance côtoie la tristesse de la célébration : cela fera en effet près d'un an (le 3 avril, exactement) que cette auteur(e) a rejoint pour toujours le mont Olympe, et laisse orphelins ses lecteurs (et) amis parmi lesquels cinq d'entre eux viennent de nous - lui - apporter leurs très émouvants témoignages grâce à la mince plaquette récemment sortie de chez l'éditeur bordelais La Cabane et simplement intitulée : Pour Hélène Mohone. Evocations plurielles (cinq auteurs) de son travail d'écriture mais également de l'amie fidèle dont la disparition n'a heureusement pas emporté le legs discret de quelques textes qui seront, espérons-le pour l'occasion, amplement lus et entendus derrière l'émotion des souvenirs qui affleureront certainement...

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Si le territoire d'un poète est avant tout sa langue, l'univers de Hélène Mohone puise son inspiration dans son itinéraire singulier qui est d'abord inscription géographique :  née à Bordeaux en 1959, ses premières années se déroulent principalement en Afrique (Cameroun, Sénégal), plus tard en Roumanie et Nouvelle-Calédonie. De cette première manière d' "habiter le monde en poète" (selon la belle  métaphore d'Hölderlin), elle  livre  en 2006 un récit poétique L'enfant africaine (L'Amourier) . Ce retour aux origines, vers ce "désert inhabité" (mouvement et énigme même de toute écriture) est d'autant plus dense et poignant (le sous-titre, "corpus triste", en porte le symbole) qu'il fut marqué du sceau de l'inéluctable, destin tôt inscrit dans sa chair qui eut à combattre sa vie durant contre une maladie qui aura raison d'elle, trop vite, et fera écho à son tour à son destin de poète : "Le corps est palimpseste. On écrit et puis ça s'efface alors on ré-écrit encore, en-corps", rappelle avec justesse Marie Delvigne .

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Le grand ami Jean-Luc Coudray signe à l'occasion de cet hommage la première et vraiment magnifique  remémoration  de cette consoeur, touchant par là aussi au secret de son art pour lequel il s'agit de trouver une voix unique qui peuplera fugacement l'univers et y inscrira trace la plus indélébile possible : "L'écriture n'est pas trace mais origine. La parole poétique n'est pas mémoire mais source". Hélène tourne autour de l'écriture en goûtant à tous les arts (chant lyrique, peinture, sculpture, photographie, et "surtout le cinéma" qui lui procura  quelques ultimes instants de répit) avant de confier plusieurs écrits à des revues et de se lancer dans la rédaction de pièces de théâtre qu'il reste à publier, dont Si Près de Champs et Le Chemin, déjà forts de "la question de l'empreinte et de la mémoire". Son dernier recueil, de loin, (publié par l'Atelier de l'agneau le premier trimestre 2008) dit déjà cette absence (délivrance) à la limite de l'indicible, de l'insignifiable, mais encore plus proche et bouleversante que jamais.

"[...] nommer l'instant de vie avant la disparition", énonça-t-elle dans L'Enfant africaine (page 59): quel (plus digne?) secret assigner à la poésie et confier à une écriture tout entière dédiée à ce travail vain mais noble de Sisyphe ?

Rappelons en dernier lieu et en guise d'ouverture Le coeur cannibale, premier recueil de poèmes publié en février 2003 par William Blake & co. édit : le déjà proche Claude Chambard avait  perçu (percé) et loué, derrière l' "étrange" d'une "oeuvre débutante" la "langue rare, économe, chantante, proche de l'imprécation, scandée comme une danse des origines [...]" , " un livre qui ne parle pas à tort et à travers, mais, au contraire, resserre sa langue lentement autour de ce qui est essentiel en elle, en nous, ce qui nous fonde, nous empêche de disparaître" (pages 28-29).

L'impression d'une voix d'une grande force ne nous quitte pas en effet à la lecture de son oeuvre, la présence intermittente de la douleur renforçant le sentiment du vécu, d'une urgence à accueillir jusqu'à son terme la brièveté de la  vie,  celle irriguant ensuite l'ensemble de sa "mince mais dense" création même pour ceux (car j'en fais partie) qui ne l'ont pas connue mais qui, la découvrant, peuvent témoigner à leur tour de l'intensité poétique de ses fulgurations en prose telle que celle-ci, recueillie dans Torpeur (page 18 ; La Cabane, 2007) :

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(fille à la douleur)

fille du crâne du père sortie sanglée cuirasse déjà prête à

combattre petite arbalète à la douleur à l'ouverture des flots

cérébraux fille d'immortel à la grande fissure des familles

elle embrasse la fiction

au père dédiée n'écoute que le choc des luttes les carènes

séparées des solides flottes elle participe de tout complot des

incendies et l'empêchement des fuites

les grandes populations ont péri dans le corps du père

fille laiteuse à l'arc-boutant des épiphanies aux confins de

l'Atlas elle brille soudain par la lame à l'accrue des massacres

fille surgie du crâne du père à l'embellie des nuits d'été pour

vaincre non pour aimer "

Ou encore :

"L'histoire finit mal... L'histoire finit bien. Rien de bien ne finit. Tout s'achève et l'absence dure", en avertit-elle au seuil de L'Enfant africaine, à quoi se répond la superbe dédicace  qui clôt Le coeur cannibale:

" A ceux qui m'aiment, pour la vie et non pour la mort."

On tâchera de ne pas oublier.

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