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Hors de prix

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Une actualité de David V.
Publié le 18/04/2014
sans voixLes prix littéraires, qu'on les prenne pour une farce annuelle ou une course trépidante, donnent souvent matière à une prose indignée ou complice, rarement à de la littérature, même si parfois un auteur choisit ce sujet pour un délire (tel Iegor Gran chez POL) guère inspiré. En France c'est un jeu à fort enjeu économique, on les honnit mais on ne peut pas s'en passer, les auteurs font la fine bouche mais en sont obsédés, les calculs les plus étranges donnent lieu à une herméneutique très amusante. Bref, c'est un trésor national. Qu'on lise les pages que Pierre Assouline a consacrées à une Académie dont il fait désormais partie pour se convaincre qu'en un siècle il s'est tout passé en matière de turpitudes, trahisons, surprises, découvertes ou consécrations (Du côté de chez Drouant, Gallimard, 2013). On connaît beaucoup moins les pratiques étrangères que l'on qualifie volontiers de plus saines du fait de cette rotation dans les jurys, notamment chez les Anglo-saxons, et de ce renouvellement constant qui prémunit contre les petits arrangements permanents. Il y a là une part de naïveté et d'auto-flagellation qui nous ressemble assez. En lisant le nouveau roman d'Edward St Aubyn qui paraît chez Bourgois, on apportera de l'eau au moulin des sceptiques universels pour qui dès qu'il y a prix, il y a vice. Sans voix ne manque ni de brio ni de style, c'est le moins que l'on attende du spirituel Britannique. Mais c'est aussi une plongée dans les moeurs littéraires de nos cousins qui ne laissent pas de nous amuser car l'auteur a pris le parti de suivre pendant plusieurs mois, de la composition du jury à l'annonce solennelle du lauréat, non seulement les cinq membres du jury choisis pour leur probité mais encore des écrivains dans la course ou qui en ont été éjectés (car le prestigieux prix en question donne lieu d'abord à une sélection de vingt romans avant leur parution), des éditeurs à la manoeuvre et quelques Indiens débarqués des marches de l'ancien Empire pour y glaner des lauriers. Edward St Aubyn s'amuse fort et nous aussi avec cet impitoyable compte à rebours et cette frénésie des egos et des corps, d'autant qu'une sublime créature prénommée Katherine possède à la fois de grands talents d'écrivain et un vaste pouvoir de séduction dont sont victimes à tour de rôle ou simultanément quelques misérables créatures du sexe fort dont les défenses sont anéanties par la puissance de suggestion (et l'art amoureux) de la jeune femme. Vaudeville dans un milieu aussi naturel qu'un marigot pour vieux reptiles, Sans voix permet aussi à son auteur de laisser libre cours à son génie de la parodie puisque sont insérés dans le corps du texte des extraits des livres sélectionnés, morceaux de bravoure très drôles qui reflètent avec ironie la situation de la littérature anglo-saxonne actuelle et ses penchants. Il faudrait faire lire ce roman à tous ceux qui doutent des qualités de notre littérature taxée de tous les maux, de l'egotisme forcené au romanesque le plus creux. Manifestement les Anglais ne sont pas en reste dans ce domaine. Mais eux au moins savent en rire avec finesse. Edward St Aubyn copyright Mathieu Bourgois

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