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Jauffret en coup droit

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Une actualité de David V.
Publié le 21/09/2013

Régis JauffretRégis Jauffret n'est pas du genre à transiger. Il place au-dessus de son confort, de ce que certains de ses confrères pourraient nommer leur "carrière" (s'ils ne craignaient la honte qui surgit devant un tel mot quand il est question d'art), son exigence littéraire. Sans perdre son sang froid, il a choisi de s'éloigner de son prestigieux éditeur, Gallimard, pour donner à son roman Sévère la possibilité de voir le jour, sans coupure ni repentirs car rue Sébastien-Bottin on n'était, semble-t-il, pas très chaud pour lancer ce livre inspiré d'un fait divers largement commenté. Le Seuil et sa directrice littéraire Martine Sada n'ont pas hésité longtemps face à la puissance connue de l'écrivain marseillais (mais à vrai dire il n'y a pas de cause à effet entre Marseille et la puissance évoquée) qui rejoint ainsi un catalogue honoré par l'une des plus importantes voix de la littérature contemporaine. Mais tout cela n'est que de l'arrière-cuisine, car ce qui nous importe avant tout est ce fameux roman qu'on aurait pu imaginer sulfureux voire répréhensible. Il y a certes un fait divers comme déclencheur, étincelle qui a mis en branle la mécanique romanesque de Jauffret, mais on en vient vite à l'oublier, d'autant que les "vrais" protagonistes ne sont évidemment jamais cités. Cette affaire Stern qui réunissait tous les ingrédients d'un sujet croustillant pour la presse - le sexe hardcore, la fortune et la mort violente, un cocktail pour le moins sulfureux -  une histoire violente à même d'exciter les foules léchant le papier glacé des magazines toxiques, est bien le point de départ, et constitue le fil narratif de Sévère. Mais là commencent la liberté et le talent de Jauffret qui a choisi de "devenir" la criminelle et de la faire parler, à bout de souffle après un crime qu'elle tente d'endosser et de comprendre dans sa fausse fuite, à la fois lucide et complètement larguée.  Là commence aussi la nausée fascinée du lecteur happé par la prose simple d'un auteur qui maîtrise sa narration sans l'alentir, qui nous impose sa vérité en nous prévenant qu'il ment de toute façon et que quiconque pénètre dans l'univers de la littérature s'expose aux joies et aux tourments du mensonge. Le sexe et la soumission sont au coeur de Sévère, scrutant sans répit le lien qui unit cet amant odieux sorti ravagé d'une enfance qui le condamne aux pires fantasmes et de cette secrétaire qui entame leur relation en le giflant avant de tout accepter et de tout payer. Car l'argent est l'autre pilier de cette histoire, il est partout : le millionnaire est avare, maladivement, compulsif sur la note de frais qui couvre sa moindre dépense érotique, reprenant l'énorme somme (mais dérisoire pour lui) donné à la maîtresse pour mieux la bafouer. L'argent est pouvoir, il est malheur et malédiction, il ne guérit de rien et son pouvoir monstrueux plane sur toute l'histoire constituée d'une série de flash-backs qui brillent dans cet obscur sans issue. Imaginer qu'on sortira de ce livre en ayant approché la vérité de ce fait divers serait illusoire, ce n'est pas le rôle des romanciers et surtout pas celui de quelqu'un comme Jauffret. Mais croire qu'on en sortira intact ou léger serait une illusion encore plus forte. C'est avec ce genre de livres qu'il nous prouve qu'il est assurément l'un des plus importants écrivains de notre temps. Son intransigeance l'honore.

Et nous aurons le plaisir de recevoir Régis Jauffret pour une conférence le jeudi 1 avril à la librairie. c'est un événement assez rare pour qu'on se le dise.

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