C'est le Printemps des poètes, les nouveautés fleurissent !
L'occasion ou jamais de faire des découvertes. En voici une de taille, avec cette magnifique anthologie Voleur de nuit, du poète colombien Juan Manuel Roca - auteur reconnu, récompensé par de nombreux prix et publié en France pour la première fois - remercions au passage les Editions Myriam Solal pour leur beau travail ainsi que le traducteur (admirable), François-Michel Durazzo. Il y a quelques jours, l'auteur et son traducteur étaient à Bordeaux, à l'Institut Cervantes, pour une rencontre lectures. La langue de Roca parle d'elle-même - quelques bribes choisies valant mieux qu'un long article, à savourer :
CANTATE DU PAYS SAUVAGE
Chaque jour, comme si je descendais d'un bateau
Dont les rames sont le rêve,
Je retourne au même lieu à la langue sauvage.
Quand le vent ouvre les portes battantes de l'hiver,
Je peux voir l'éclair dessiner
Son escalier sur le tableau noir du ciel,
Ou bien j'écoute le naufrage de l'eau dans les ruisseaux.
CARTE POSTALE DE NULLE PART
Des tulipes poussent
Dans le parc
Où les femmes marchent
Avec une légèreté de nuage.
Les couteaux n'ont pas
Envie de blessures
Ni faim de peau.
BOUTEILLES A LA MER
Dans la petite chambre où je vis
Comme Jonas dans le ventre d'un cétacé,
Je pense : peut-être les poèmes sont-ils
Des messages envoyés par un naufragé,
Des bouteilles de cris pauvrement écrits
Qui vont peut-être de la mer des silences
Aux plages de l'oubli.
Mais voici que je lance une bouteille, une autre,
Une encore, habitée par mes peurs.
Dans la petite chambre où je vis
Comme Jonas dans le ventre d'un cétacé
Il reste peu de bouteilles du naufrage.
L'ANGE ASSIEGE
Dans les rues de la ville habitait mon coeur kidnappé. Je voyais des hommes coiffés d'un borsalino, des hommes bruyants entrer et sortir de bordels et de tripots.
Je perdis peu à peu l'innocence et, avec mes ailes, la folie des voyages. Je n'en suis pas sûr, mais je crois que c'est le balayeur du quartier qui m'a dit qu'une nuit, au milieu de mouches mortes et de seringues usagées, il avait trouvé mon sourire. L'innocence, comme une gare balayée par le vent, m'avait abandonné, et avec lui mes ailes.
Dans les rues de la ville habitait mon coeur kidnappé, ange assiégé qui ne voulait pas revoir le paradis.
Juan Manuel Roca, poète et journaliste, est né à Medellin, Colombie, en 1946.