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L'anagramme d'Ellroy

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Une actualité de Karine G.
Publié le 15/03/2016

Sur nos tables du rayon polar vient d'arriver un mystérieux auteur... Sur la couverture, deux initiales : R. J. suivies d'un nom de famille : Ellory. L'anagramme d'Ellroy.

seul-le-silence.gifNous nous sommes très vite rendu compte de la confusion possible car de nombreux clients, attirés, lisaient d'eux-mêmes Ellroy - au lieu de Ellory. A ne pas confondre ! Petite notice biographique donnée par les éditions Sonatine, tout aussi intriguante : "R. J. Ellory est né en 1965. Après avoir connu l'orphelinat puis la prison, il devient guitariste dans un groupe de rock, avant de se tourner vers la photographie. Seul le silence est son premier roman publié en France". On ne saura donc pas si Ellory est un véritable patronyme ou le  pseudonyme d'un écrivain voulant rendre hommage au maître James  Ellroy... Cela n'est pas précisé non plus sur le site de l'auteur où le libraire curieux se connecte pour mener son enquête et, petite victoire, apprend qu'Ellory se prénomme Roger Jon, voilà pour les mystérieuses initiales, et qu'il a déjà écrit cinq romans policiers. Le libraire aux aguêts, interpellé par tout ce qui précède, feuillette donc ce livre au titre sibyllin Seul le silence. La quatrième de couverture indique que "R. J. Ellory évoque autant William Styron que Norman Mailer par la puissance de son écriture et la complexité des émotions qu'il met en jeu". L'ouvrage est dédié à Truman Capote (1924-1984) - cité explicitement vers la fin, page 467  : "Ce Capote avec son livre De sang-froid... L'histoire de cette famille du Kansas". Il y a bien une filiation avec le grand Capote, non seulement dans l'histoire mais aussi dans le style, à la fois limpide, poétique et percutant, aux images étonnantes, à l'exemple du prologue qui donne le ton :

Coups de feu, comme des os se cassant. New York : sa clameur infinie, ses rythmes métalliques âpres et le matèlement des pas, staccato incessant ; ses métros et cireurs de chaussures, carrefours embouteillés et taxis jaunes ; ses querelles d'amoureux ; son histoire, sa passion, sa promesse et ses prières. New York avala le bruit des coups de feu sans effort, comme s'il n'avait pas plus d'importance qu'un simple battement de coeur solitaire. Personne ne l'entendit parmi une telle abondance de vie. Peut-être à cause de tous les autres bruits. Peut-être parce que personne n'écoutait (...) C'était juste une vie, après tout ; ni plus, ni moins.

Foisonnant, multiple, ce polar atypique ne nous raconte pas une histoire, mais des histoires. Celle du narrateur d'abord, Joseph Vaughan, qui nous conte sa vie en un long flash back, sous forme de confession : souvenirs d'enfance dans une petite ville de Géorgie, la mort de son père annoncée par une plume  tombée du ciel,  les échos de la guerre en Europe - le livre commence en 1939 - qui parviennent par les ondes de la radio, les voisins, l'institutrice qui s'intéresse à lui et l'encourage à écrire... Roman d'apprentissage ensuite, émaillé de lectures - Steinbeck, par exemple - des premiers écrits de Joseph jusqu'à sa réussite littéraire qui va l'emmener dans les cercles littéraires de Brooklyn, New York. Mais comme il ne faudrait pas oublier que nous sommes aussi dans un thriller, le livre est scandé par des histoires de meurtres  : des fillettes assassinées, un serial killer insaisissable - meurtres  qui courent sur une trentaine d'années, dont certains touchent de près Joseph, qui connaît plusieurs victimes (une des petites filles était sa voisine de classe)  - à tel point que le doute s'immisce dans les esprits... Il faudra attendre les dernières pages pour que tous les morceaux du puzzle s'imbriquent.

On sort de ce polar magistral avec le sentiment d'avoir lu un grand livre, un de ceux qui marquent. Il se murmure que les éditions Sonatine ont acheté les droits de deux autres titres de Ellory, on les attend déjà avec impatience !