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L'art de la désobéissance

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Une actualité de Fleur Cattiaux
Publié le 09/05/2013

La désobéissanceUne petite merveille de premier roman vient enfin d'être traduite en français, aux éditions de l'Olivier. Découvrez avec nous la verve de Naomi Alderman dans La désobéissance et laissez-vous emporter par la lecture de ce roman très rythmé.

Voilà quinze ans que Ronit, 32 ans, n'a pas mis les pieds à Hendon, la communauté juive orthodoxe de la banlieue nord de Londres où elle a grandi. A l'annonce du décès de son père, le grand Rav Krushka, personnage charismatique s'il en est, qui bénéficiait de la vénération de l'ensemble de la communauté, une décision en apparence anodine s'impose. Elle hésite, puis finalement prend son courage a deux mains et décide de quitter quelques temps le New York où elle s'est épanouie pour assister aux funérailles, récupérer quelques objets à haute valeur affective et revoir famille et amis, ou du moins ce qu'il en reste. Elle va retrouver notamment son cousin Dovid et une amie d'enfance du nom d'Esti, de qui elle était proche - très proche - à l'époque. Seulement, tandis que l'une a évolué et occupe aujourd'hui un poste très important dans la finance et côtoie un homme marié, l'autre a eu un parcours légèrement plus conformiste.

Naomi Alderman nous donne alors à lire un roman à plusieurs voix très abouti. D'une part elle soulève des questions tout aussi profondes qu'actuelles, liées à l'adolescence, à la maturité, au conformisme par rapport aux modèles parental et communautaire, mais surtout ce qu'implique la double identité conférée par son homosexualité et sa judéité, l'opposition entre la mentalité des juifs britanniques et celle des américains. Sur ce dernier point, en particulier, la position de l'auteur, que l'on perçoit dans le discours de Ronit, est très tranchée. En effet, elle ne supporte pas la honte chronique qu'affichent les juifs britanniques. "Ils sont plus britanniques encore que les Britanniques, s'exclame-t-elle. Les gens se disent en permanence : "Ces immigrants, mais pourquoi ne veulent-ils pas être plus britanniques?" et on a envie de répondre "Eh bien ces Juifs de Grande-Bretagne sont Juifs d'une façon tellement british, comme s'ils pensaient "surtout, que personne ne fasse attention à nous, nous ne sommes pas là, vaquez à vos occupations sans vous préoccuper de nous !". Alors que de toute évidence, l'image que donnent les médias du peuple juif émane principalement des Etats-Unis, où l'on trouve des Juifs qui vivent leur judéité d'une façon très américaine, c'est-à-dire tout dans la grandeur et l'extravagance." (1)

 

D'autre part, un soin tout particulier a été pris en ce qui concerne la forme. Au récit du quotidien des habitants de Hendon relaté en focalisation zéro dans un style (fond et forme) des plus traditionnels répond en miroir le monologue intérieur de Ronit dans une langue moderne et dynamique qui promet de vous déclencher des fous rires aux détours de plus d'une page ! Et tant que l'on parle de la forme, il faut rendre justice à la traduction exemplaire qu'à faite Hélène Papot de ce roman pétillant qui a valu à son auteur le Prix Orange du Premier roman l'année dernière (2).

 

Naomi AldermanPetit mélange explosif de tradition, d'extravagance, de sensualité, dans quelles mesures ce premier roman est-il autobiographique ? N'est-il pas tentant d'envisager ce personnage féminin rebelle comme le double de Naomi Alderman. Il est possible de recenser un certain nombre d'éléments autobiographiques, comme le charisme et le renom du père de Ronit - Geoffrey Alderman est un historien britannique très réputé, spécialisé dans la question juive -, le côté businesswoman dynamique et affirmé de Ronit - Naomi a elle-même vécu un certain temps à New York et occupé un poste similaire. Cependant, lorsque interviewée dans son pays natal, elle insiste bien sur une chose : elle ne s'est jamais vraiment rebellée, et vit actuellement à Hendon. En celà réside la différence essentielle avec son personnage. Quoique la publication de La désobéissance ne vous semble-t-elle pas avoir des allures de rébellion ?...

 

 

(1) "They're more British than the British. People are always saying, 'These immigrants, why can't they be more British?' And you want to say, 'Well, these Jews in Britain are being Jewish in such a British way, which involves us going, [she adopts a small, mocking voice] '"nobody notice us, we're not here, just go about your business."' Whereas, of course, the image you get in the media of Jewish people mostly comes from America, where you have Jewish people being Jewish in a very American way - big and flamboyant." Propos recueillis par Aida Edemariam pour The Guardian.

(2) En Angleterre, dans le cadre d'un soutien accru à la culture et aux arts, Orange décerne deux prix littéraires afin de promouvoir des écrivains de sexe féminin : l'Orange Broadband Prize for Fiction depuis 1996 et l'Orange Broadband Award for New Writers depuis 2005.

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