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L'Ascension de Philippe Jaccottet

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Une actualité de Véronique M.
Publié le 16/03/2016

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Le poète et traducteur suisse Philippe Jaccottet a reçu le jeudi de l'Ascension 13 mai 2010 la plus prestigieuse récompense littéraire de son pays d'origine, à savoir le Grand Prix Schiller. A l'occasion du couronnement amplement mérité d'une poésie aussi essentielle que discrète (à l'image de son auteur retiré depuis une cinquantaine d'années dans la campagne française, à Grignan), les éditions La Dogana - qui ont déjà publié certains de ses recueils : Libretto, Le bol du pélerin, Truinas, son anthologie en deux volumes des poètes d'expression française et européens ainsi que plusieurs de ses traductions dont Les Elégies de Duino de Rilke qui sont de nouveau disponibles -  viennent de faire paraître un livre-disque sophistiqué intitulé Le Combat inégal à la couverture cartonnée d'un rouge bordeaux profond, élégant à l'instar de son contenu.

Agrémenté de quelques illustrations (quatre photos de l'auteur et deux reproductions au fusain de son épouse et peintre Anne-Marie Jaccottet, dont le travail avait été salué l'an dernier à travers un magnifique livre d'art également publié par La Dogana), le bel ouvrage se distingue par trois hommages d'amis et écrivains, soit un texte du poète suisse Pierre Chappuis (notamment édité chez José Corti) et deux textes  bilingues du traducteur de Jaccottet en Italie Fabio Pusterla et du critique allemand Andreas Isenschmid. Voisins de sa constellation, ils brossent avec précision et concision quelques traits de la poétique de Jaccottet : effacement de l'homme et de son travail tout entier voué à la recherche d'une vérité proprement indicible qui gît au creux d'une réalité la plus directe (un paysage, un objet ou un détail prosaïque du quotidien). Retenons entre autres exemples le saisissement du moins connu de ces laudateurs, Andreas Isenschmid, à la découverte du poète il y a quinze ans, et qui pourrait concerner chacun de ses lecteurs  : "je me sentais léger et neuf et libre et comblé ... Et il me semblait sentir que ces petits riens renfermaient en même temps une signification profonde [...] Une phrase que j'avais lue à la même époque dans le Voyage en Arménie d'Ossip Mandelstam me sembla décrire avec justesse cette expérience de lecture : ce fut "comme si l'on me hélait par mon nom" [...] "

   Deuxième temps fort de cette publication : deux textes de Jaccottet, dont celui de réception du prix Schiller donnant le titre du présent ouvrage. L'écrivain s'adonne alors à un exercice rare en livrant quelques souvenirs de sa vocation à la découverte, adolescent, de "Rilke, Rimbaud, Mallarmé, Ramuz, Claudel, bientôt Hölderlin" dont il retiendra à jamais pour lui-même "la quête, mais plus simplement l'accueil de certains signes venus du dehors, par surprise, mais reçus au plus profond de soi, comme les flèches de l'amour ; signes précieux entre tous, dès lors qu'ils semblent donner à notre monde, contre tout désespoir, une espèce de sens...". Nous découvrons alors que "Le combat inégal" est le titre d'un de ses anciens poèmes qui (pré)figurait le hiatus entre le choix d'un(e) retrait(e) dans l'écriture et les signes d'un désordre extérieur menacé autant que menaçant, y compris pour l'exercice de son art.

L'écoute exceptionnelle de la voix enregistrée en janvier 2010 au château de Grignan de Philippe Jaccottet sur un compact-disque clôt en émotion cette magnifique édition et en est sans conteste l'atout majeur.  Sa lecture de quelques uns de ses poèmes et textes en proses empruntés à trois de ses recueils parus chez Gallimard (Après beaucoup d'années ; Et, néanmoins ; Ce peu de bruits)  révèle la profondeur d'une traduction (à proprement parler) de l'invisible au-delà du visible.  Un des extraits prononcé de son dernier recueil paru chez Gallimard en 2008, Ce peu de bruits (voir à cette occasion le blog qui lui était consacré) permet alors d'apprécier le sens de cette quête opiniâtre quand, du fond du ravin (cf. Notes du ravin - première partie), il appelait de même à des :

"paroles non pas pour les morts (qui l'oserait désormais ?) mais pour le monde et de ce monde."

A la fin de son texte de circonstance, Jaccottet conclut en adoptant non la posture du "vainqueur" de ce combat vain mais celle à venir du "presque fantôme" dont la vigilance le conduit à espérer (et nous avec lui) "une ou deux réserves de paroles qu'il rêverait lumineuses" et à poursuivre encore "un chemin dans la venue de la nuit". Frêle rouge-gorge, "messager sans message" à la frontière du crépuscule et de l'aube, il nous fait entendre, émerveillés depuis une soixantaine d'années, la plénitude toujours limpide de son chant.

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