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L'orange dans la main du vieil homme

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Une actualité de David V.
Publié le 09/05/2013

Evelio RoseroOn nous parle tant de la Colombie que, pour un peu, on en oublierait qu'à l'instar de la plupart des pays d'Amérique Latine, celui-ci possède une riche tradition littéraire allié à une vivacité dont nous ne connaissons pour ainsi dire rien. La prise d'otages et ses corollaires terribles, la mort quotidienne qui voue chaque existence à l'incertitude, l'obligation de choisir son camp dans un lieu où la neutralité ne veut plus rien dire, tous ces éléments nous semblent désormais faire partie de l'univers mental du colombien, être lointain qui a droit plus à notre compassion qu'à notre compréhension. La littérature peut pourtant trouver un nouveau sens lorsqu'elle nous permet, grâce à des oeuvres puissantes, l'immersion au coeur d'une civilisation contaminée par le poison de la violence à travers des destins singuliers, et donc universels.

Evelio Rosero est né à Bogotà où il vit depuis cinquante ans. Son premier roman traduit en français par François Gaudry chez Métailié va nous parvenir dans quelques jours et nous nous ferons un plaisir de le conseiller non seulement aux inconditionnels de littérature hispanophone mais encore à ceux qui réclament aux livres un instant de grâce fut-il comme avec Les Armées d'une incroyable dureté. La scène d'exposition nous incite à oublier, précisément, tout ce que nous croyons savoir sur la Colombie, scène enchanteresse et moqueuse qui présente un vieil homme juché sur son échelle, simulant une cueillette d'oranges qui lui permet d'observer la superbe nudité de sa voisine, dernier plaisir d'une vie qu'on imagine paisible. Sauf que la paix n'existe plus, surtout dans une petite ville de la montagne successivement aux prises avec l'armée, les paramilitaires ou les guerilleros, dont les treillis se ressemblent voire se confondent. Quand les villageois se réunissent, c'est pour supporter une femme dont le mari a été kidnappé des années plus tôt. Quand on fait le compte des familles, beaucoup se sont désagrégées (fuite, mort, disparition). Ismael, l'instituteur retraité amateur d'oranges, comprend un soir d'égarement qu'il est impossible d'échapper au présent et qu'il n'aura pas la saveur du corps d'une femme au soleil : sa femme, qui lui reprochait ses manies de voyeur, ne rentre pas, le chemin de sa maison lui paraît impossible à retrouver, les hommes armés se font de plus en plus agressifs. Le monde s'effondre en même temps que sa mémoire en ruine. La force du livre provient de ce que c'est Ismael lui-même qui nous raconte, incohérent, ses dernières heures trouées par l'oubli, traversées par des souvenirs qui reprennent vie. Il est notre seul guide, notre seul appui et nous savons qu'il divague. C'est ainsi qu'au milieu de l'horreur, sa voix, poignante, nous touche. C'est pourquoi Les Armées, ce roman si peu militaire, nous paraît un grand et beau livre.

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