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La barbe de Samuel Beckett

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Une actualité de David V.
Publié le 12/04/2013

Martin Page n'a pas peur des statues du Commandeur. Samuel Beckett impressionne beaucoup  la Compagnie des Lettres et ses lecteurs. Thuriféraires, adorateurs, exégètes, tout un peuple de gens portés sur la vénération accable son souvenir et son oeuvre portée aux nues, sans aucune malice, ce qui est fort ennuyeux pour un écrivain de cet importance. On se souvient de la nouvelle d'Eric Chevillard imaginant le voisin de l'auteur de Godot envoyant dans son jardin les taupes indésirables. Exilé quelques temps en Allemagne, Page a profité de la liberté offerte par la frontière pour se livrer à un très amusant petit exercice de déboulonnage du mythe et pas aussi vain qu'on pourrait le croire à la lecture de l'idée. Parce qu'il s'agit d'un jeu, il commence par un subterfuge, une petite construction chargée nous rappeler qu'on est dans les marges de quelque chose : dans les archives Beckett on a retrouvé le journal d'un jeune homme qui aurait été son assistant le temps de quelques semaines. Embauché presque par mégarde, il s'est vu confier, par Beckett qu'il a découvert barbu et méconnaissable (il ne se raserait que pour les photographes, lui avouera-t-il), une étrange mission : classer les archives que lui réclament à grands cris de prestigieuses universités et qu'il leur envoie sporadiquement pour les calmer. Ayant cependant très vite achevé la besogne, le malicieux Samuel se met en tête d'inventer de toutes pièces des archives qui feraient croire à des voyages ou des manies imaginaires, et c'est à son jeune apprenti qu'il va demander de l'aide. S'installe entre eux une étrange connivence faite de silence et de respect, d'idées saugrenues émises par le grand Irlandais, de discrètes rencontres dont le jeune homme sait profiter, persuadé que cela n'aura qu'un temps. D'autant qu'il est en pleine rédaction de sa thèse d'anthropologie et que ces sorties chez le grand homme représentent un divertissement où le sublime se confond avec le cocasse voire le saugrenu, sans parler de l'incrédulité qui le saisit quand il réalise ce qui lui arrive. Car, on le découvre comme si c'était tout naturel, le dramaturge révèle un amour profond pour les abeilles qu'il accueille dans des ruches entretenues avec un soin extrême, fabriquant un miel parisien, rare.

Martin Page prend un grand plaisir à ce jeu apparemment incorrect qui lui permet surtout de nous confier sa vision de la littérature, essentielle et vaine, et de nous obliger à nous demander : qu'est-ce qu'un grand écrivain ? Il y parvient, l'air de rien, insolent et drôle, plus beckettien que bien des bavards qui se piquent d'avoir tout compris d'un auteur qu'ils ont asséché, momifié, cloué sur leur porte. L'apiculture selon Samuel Beckett est un court livre piquant qu'il faudra lire avec légèreté, de manière à n'en pas perdre le parfum. Il paraît le 10 janvier, à L'Olivier.

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