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La mort de Michel Houellebecq

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Une actualité de David V.
Publié le 24/11/2014

Le cimetière Montparnasse sous la neigeQui n' a pas imaginé un jour son propre enterrement ? Beaucoup l'ont rêvé, Michel Houellebecq l'a osé et écrit. Vous pourrez suivre le corbillard qui mènera à sa tombe du cimetière Montparnasse à partir du 8 septembre, mais aucun cahier de condoléances ne sera ouvert. A force d'entendre parler de lui, d'être le sujet de tant de polémiques, de se voir dévoré vivant par ceux pour qui ils n'étaient plus seulement un écrivain dont on ne juge que les oeuvres mais une cible que ses excès désignaient facilement aux flèches d'archers parfois bien médiocres, le plus célèbre des écrivains français contemporains a décidé de se mettre en scène, sans faux-semblant et sans décodeur, dans un long roman où il interprète son propre rôle, un second rôle en apparence mais c'est évidemment lui la tête d'affiche, un peu comme Marlon Brando dans Apocalypse Now dont la présence pèse sur toute l'histoire. Le héros du livre est un peintre, Jed Martin, disons plutôt un plasticien car la peinture ne couvre qu'une période de sa vie artistique : c'est lui que nous allons suivre jusqu'à sa mort dans un futur proche, et par son biais nous allons pénétrer dans la forteresse qui abrite l'écrivain reclus.  L'habileté de Houellebecq est d'avoir choisi une structure classique qu'il dévoie régulièrement par des allers-retours vers le futur ou des plongées dans le passé, maître d'un temps qu'il décline avec une fausse insouciance permettant les jugements les plus acérés sur notre époque et ce qu'elle nous prépare, et on sait que dans ce domaine il fait des étincelles, impitoyable dans ses analyses, observateur lapidaire qui s'éloigne après avoir visé juste et sans aucun doute moins complaisant pour évoquer la mutation de notre monde à travers le parcours d'un homme qui rompt avec lui sans violence et sans manière, sincère dans son jusqu'au-boutisme. Car Jed Martin est un grand créateur mais sans les calculs que Houellebecq prêterait volontiers à un Picasso : il suit une ligne, exploite une idée, une obsession en ignorant les avis. Remarqué pour sa série de photos de cartes Michelin, il entreprend ensuite un vaste chantier pictural qui culminera avec un portrait de...Michel Houellebecq, préfacier inattendu du catalogue de l'exposition. Par cette petite porte dramatique, l'auteur des Particules élémentaires s'installe dans un roman qu'il ne quittera plus, malgré tous ses efforts pour disparaître, noyé dans l'alcool ou la déprime, réfugié en Irlande ou revenu dans le village de son enfance. Car la disparition est bien au centre des préoccupations de ce livre pas aussi drôle qu'on voudra nous le faire croire, non que Houellebecq joue outrancièrement au réactionnaire (le passé ne paraît pas plus vertueux que l'avenir) mais il tourne autour du sujet avec une persistance évidente jusqu'à l'étonnante brutalité de la dernière partie qui se transforme en roman policier avec scène de crime, Quai des Orfèvres, commissaire Maigret (ou presque), preuve que l'auteur d'Extension du domaine de la lutte peut étendre ses qualités dans toutes les directions y compris celle du polar et de ses clichés. Le cliché, Houellebecq connaît et maîtrise, jusqu'à la technique d'ailleurs ; son écriture est souvent photographique, précise, sans fioriture et s'il jubile ce n'est pas dans le style, toujours contenu, retenu, direct. Il y aura à craindre qu'on ne retienne de ce livre somme toute ambitieux que l'écume, ses incessantes citations de personnages réels (ah l'outing de Jean-Pierre Pernaut...sa fête mémorable..., les apparitions de son ami Beigbeder (dont on apprend incidemment la mort à 71 ans "entouré des siens"...), la dignité de son éditrice Teresa Cremisi dans les moments les plus douloureux, etc...), ses règlements de compte avec ceux qui ne l'ont guère épargné (pauvre Didier Jacob du Nouvel Obs...), l'apparente auto-dérision dont il semble faire preuve en ne se ménageant guère au risque d'une certaine complaisance dans le morbide. Mais ce serait évidemment injuste avec ce livre qui va bien plus loin que la plupart de ses contemporains toujours prompts à ménager chèvres, choux et carottes. Houellebecq se permet tout et il n'en abuse pas, c'est un privilège trop rare pour qu'on n'en profite pas. La carte et le territoire (chez Flammarion, maintenant que la parenthèse Hachette est refermée) paraît dans quinze jours, on espère qu'à défaut d'être défendu ou descendu, il sera lu jusqu'au bout.

Michel Houellebecq — La carte et le territoire 1 (Mediapart) envoyé par Mediapart. - L'actualité du moment en vidéo.

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