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La mort du grand écrivain

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Une actualité de David V.
Publié le 23/04/2013
La littérature engendrée par Marcel Proust aurait facilement, on le répète comme un cliché, de quoi couvrir des murs entiers de bibliothèque : écrivain de l'ajout, il encourage la glose, écrivain du détail, il fascine et fait écho, mais, surtout, écrivain de génie, il invite à l'admiration. Parmi les très bons auteurs qui l'ont élu figure Henri Raczymow, qui depuis quarante ans bâtit une oeuvre interrogeant la présence du passé sans cesse retrouvé et réinventé, un fidèle de la rue Sébastien-Bottin. Il nous avait permis il y a quelques années de faire connaissance avec Le Cygne de Proust, Charles Haas, le modèle de Swann qu'il nous présenta dans la collection de J.B.Pontalis L'Un & l'autre ; plus tard il composa Le Paris retrouvé de Marcel Proust chez Parigramme, devenu une sorte de bible en image du proustien, un manuel de géographie littéraire et intime qui tentait d'approcher le paradoxe énoncé par Roland Barthes sur les vérités que l'on découvre dans l'oeuvre de l'écrivain mais qu'on ne trouve pas dans les lieux réels "car l'oeuvre de Proust n'est pas réaliste. A ce titre, tout lecteur doit garder à l'esprit la manière proprement proustienne, à la façon du rêve selon Freud, de condenser et de déplacer". Sort ces jours-ci dans la collection animée par Benoît Ruelle chez Denoël, un court opus qui va provoquer de beaux émois chez les proustomanes ou proustophiles : "Notre cher Marcel est mort ce soir". Le très grand talent d'Henri Raczymow est de ne pas jouer aux idolâtres précautionneux, et d'assumer son statut de créateur en mêlant avec une ferveur non dénuée d'ironie l'essai et la liberté du romancier qui peut se permettre d'inventer, de broder. Pour parler de la mort du grand homme dont l'agonie dura un mois mais qui sembla se préparer à cette fin pendant des années, l'auteur se place au plus près des témoins, ceux qui purent entendre les plaintes, les récriminations, les exigences d'un génie exténué qui peu à peu confond le réel et son oeuvre, qui poursuit le but de placer le mot Fin au bas d'une page sans ignorer que cette fin est un leurre car l'inachèvement est au coeur du processus créatif de la Recherche. La patiente Céleste Albaret, domestique solide qui ne rechigne jamais et vit au rythme de son maître, est celle qui entend tout mais ne juge pas, qui supporte avec une fermeté que l'on croit venue de sa lointaine province la cyclothymie maladive de Proust qui se soigne mal et refuse d'écouter les médecins, qui vit dans une demeure où les meubles ont été posés comme si l'intérieur n'avait pas d'importance pour abriter le livre de l'intériorité suprême. Autour d'elle gravitent ces amis dont l'auteur a besoin, au point parfois qu'il sort pour les chercher malgré son état pitoyable, ces amis desquels il attend ces compliments sans nuances dont il s'abreuve avec une vanité assumée. La famille est assez discrète, n'était son frère cadet, Robert, médecin prestigieux dont les avis ne sont pas toujours respectés. La mort est là, qui attend son heure, et Proust donne l'impression de la voir qui le guette. Course-poursuite, l'agonie est un combat de chaque instant contre le spectre de l'inachèvement. Raczymow maîtrise tellement bien son sujet qu'il peut se faire léger puis grave, anecdotique puis profond, afin de nous faire approcher cette ambiance sépulcrale et pourtant animée qui peut entourer les auteurs dont la vie n'a qu'un but : terminer l'oeuvre. "Notre cher Marcel est mort ce soir" est un livre mince dont on ne se sépare pas sans mélancolie ni sans l'envie de retrouver A La Recherche du temps perdu, ce roman qui ne peut pas mourir.

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