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La plume fêlée

Svetislav BasaraSvetislav Basara est un peu comme le Palafox d'Eric Chevillard : insaisissable, protéiforme, présentant de multiples visages, il échappe à toute tentative de classement. On compare l'auteur serbe avec de nombreuses personnalités - Kafka, Kusturica, Boulgakov, Pirandello, Nietzsche entre autres - mais l'impression que l'on reste quand même loin du compte demeure, si bien qu'on a vite fait de capituler. Car le lecteur avisé s'étonnera que plus il lit et essaie de comprendre cet auteur, plus le flou s'installe sur sa personne. Est-ce un fou, un génie, un provocateur, un bouffon, ou un visionnaire ? Le débat est ouvert, bien que tout le monde semble s'accorder sur un point : c'est absurde et c'est drôle.

Pour découvrir à prix doux cet auteur, les éditions 10/18 viennent de faire paraître Guide de Mongolie, un de ses livres les plus marquants. A noter qu'il est quand même difficile d'appeler ses livres "romans" tant la dénomination semble trahir la nature même de ses textes, à la croisée de la nouvelle, de l'essai, de l'autobiographie et du défouloir. On lui préfèrera plutôt le terme d' "objet littéraire non identifié". Guide de Mongolie ne déroge pas à la règle. Le narrateur - personnage fictif ou double de l'écrivain ? - est dépêché en Mongolie pour y rédiger un guide touristique et atterrit rapidement au bar de l'hôtel Gengis Khan, à Oulan-Bator. Lieu propice aux rencontres les plus improbables, il va successivement faire la connaissance d'un évêque hollandais perdu dans un rêve, d'un officier russe converti au bouddhisme, d'un mort-vivant libertin et même de l'énigmatique Charlotte Rampling. On discute, philosophe sur la vie, sur la guerre, mais surtout on boit beaucoup. Entre rêveries et ivresse, pour paraphraser Socrate, tout ce que l'on sait, c'est qu'on ne sait rien. La démarche ressemble étrangement à celle entreprise par Alain Mabanckou dans Verre Cassé, avec ses récits de personnages tous plus déments et avinés les uns que les autres. A la fois conte philosophique et satire politique, Basara souffle le chaud et le froid et fait preuve d'une autodérision explosive. On se dit alors que son univers loufoque sert la déconstruction d'une réalité sinistre, on pense bien sûr à la guerre qui a fait près de dix-mille victimes à Sarajevo et à qui est dédié ce livre.

L'actualité de cet auteur est riche puisque vient de paraître également, aux éditions Les Allusifs, Perdu dans un supermarché, une vingtaine de nouvelles toutes plus loufoques les unes que les autres, où l'on apprend comment réussir un crime imparfait parfait, ce que peut penser un homme qui est en train de chuter de la Tour Eiffel, ce qu'il se passe quand on est enfermé, de nuit, dans un supermarché, et bien d'autres situations tout aussi incongrues.

Du même auteur, à noter également Le miroir fêlé, paru en 10/18, une fable cynique et déroutante mettant en scène un jeune homme qui apprend que l'homme ne descend pas du singe mais du néant. Sa vision du monde va s'en trouver bouleversée, si bien que, pour lui, les êtres humains n'existent pas plus que les personnages du roman qu'il a inventés.

Attention ! Lire Basara peut se révéler addictif. Comme un feu d'artifice, ça part dans tous les sens, on ne comprend pas trop comment ça marche, mais c'est fascinant et on en ressort ragaillardi. La littérature serbe tient encore dans ses rangs un noble représentant.Guide de Mongolie, 10/18

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