Après la sortie en 2007 de textes inédits entourant le séminaire Le discours amoureux qu'a tenu Roland Barthes entre 1974 et 1976 (et qui a donné lieu au mythique Fragments d'un discours amoureux en 1977), l'essayiste est toujours à l'honneur des éditions du Seuil (une biographie de Tiphaine Samoyault serait en préparation) vingt ans tout juste après sa disparition le 26 mars 1980.
Si la sortie l'an passé de deux ensembles de fiches concernant plutôt l'intime de l'auteur - donc non destinées à être publiées - à savoir son Journal de deuil (Seuil) et ses Carnets d'un voyage en Chine (Bourgois) avait déclenché de vives protestations (notamment pour le premier dans lequel Barthes met à nu sa douleur de fils venant de perdre sa mère) , Eric Marty - qui dirige l'édition complète des oeuvres de Barthes disponibles en cinq tomes au Seuil - continue de faire découvrir les inédits du directeur d'étude à l'Ecole pratique des hautes études. Il révèle cette année son séminaire des années 1973-1974 intitulé Le lexique de l'auteur assorti d'une centaine de fragments jusqu'alors conservés dans les archives de l'IMEC et préparatoires au fameux Roland Barthes par Roland Barthes désormais paru simultanément dans la collection Points.
Il est important de rappeler que ce séminaire (du 8 novembre 1973 au 30 mai 1974) et, parallèlement, l'écriture de ce glossaire (en fait un texte de commande) d'inspiration autobiographique (datant de 1975 pour sa première édition dans la collection "Ecrivains de toujours") marquent un tournant décisif dans l'oeuvre de Roland Barthes. En 1973, la parution du fondamental Plaisir du texte déporte de plus en plus les travaux et la réflexion de Barthes du règne de l'image/imaginaire et de la forme de l'essai critique (sous le signe de la déprise de la doxa, de l'Idéologie, de la bourgeoisie) vers l'invention d'un "objet littéraire inédit" (Eric Marty) hybride car à mi-chemin de la théorie et de la forme romanesque idéale, soit la réalisation d' un "imaginaire d'écriture", un désir du texte. Les contours ici pressentis de sa Vita nova esquissent son projet d'écriture romanesque brutalement interrompu par sa disparition et finalement recueillis dans les cours de sa Préparation au roman (1978-1980).
Avertissant son diligent lecteur dans un des fragments intitulé "Le livre du Moi" que son Roland Barthes par Roland Barthes "est un roman, pas une biographie [...] Je me suis mis en scène comme un personnage de roman", il éclaircit le choix d'une triple signature qui oscille sans cesse entre "je", "il" et "vous" comme afin de détourner ironiquement, voire ruiner toute possibilité objective (vérité scientifique) de l'exercice autobiographique : nouvelle version ou mise en abyme de sa fameuse "mort de l'auteur" ?
"Tout ceci doit être considéré comme dit par un personnage de roman - ou plutôt par plusieurs. [...] La substance de ce livre, finalement, est totalement romanesque. L'intrusion, dans le discours de l'essai, d'une troisième personne qui ne renvoie cependant à aucune créature fictive, marque la nécessité de remodeler les genres : que l'essai s'avoue presque un roman : un roman sans noms propres."
L'année 1974 du tome IV (1972-1976) de ses Oeuvres Complètes se termine symboliquement par une brève note tracée de sa main qui, reprenant cette énonciation plurielle si caractéristique chez Barthes prend grâce à ce nouvel éclairage des coulisses tout leur sens et force émotionnelle :
"Et après ?
- Quoi écrire, maintenant ? Pouvez-vous encore écrire quelque chose ?
- On écrit avec son désir, et je n'en finis pas de désirer."