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La vie e(s)t son contraire

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Une actualité de Véronique M.
Publié le 19/03/2016

" Les Leçons du Mal recrée un mode de vie qui a disparu : celui du Sud des Etats-Unis avant les mouvements des droits civiques. L'ordre social dominant s'était bâti autour de divisions de classes et de races où la vieille aristocratie détenait le pouvoir et se sentait la noble obligation de donner en retour aux communautés sur lesquelles elle exerçait sa domination. J'ai voulu créer un tel personnage, l'investir d'un acte de noblesse, puis raconter comment cet acte bien attentionné tourne affreusement mal. Les Leçons du Mal raconte en quoi pareille bonne fortune peut être à double tranchant, et à quelles imprévisibles atrocités elle peut mener. Pour moi, ç'a été un retour à mes origines, à la fois en tant qu'homme et en tant qu'écrivain, et l'un de mes voyages littéraires les plus émouvants."

thomas-cooh-les-lecons-du-mal.jpgTel est l'éclairant propos de l'écrivain Thomas H. Cook sur son dernier roman, Les leçons du Mal, publié pour la première fois aux éditions du Seuil et dont il convient de souligner l'élégance de la nouvelle présentation de sa collection "Policiers" (rabats, couverture effet glacé avec qualité photo du meilleur effet). Pourtant, pour les amateurs de littérature policière (fidèles -et autres - du rayon), le nom de Thomas H. Cook n'est pas totalement inconnu puisque nous conseillons volontiers sa vingtaine de titres parus précédemment chez l'Archipel, Gallimard ("Série noire") puis en format poche (collection Folio ou Livre de poche) : notamment  Les feuilles mortes (dernier paru chez Folio en 2010) a été l'objet d'un de nos coups de coeur en 2008. Attention toutefois à ne pas le confondre avec le spécialiste américain de thrillers médicaux (Robin Cook) et son second homonyme, l'Anglais Robin Cook !  Non seulement l'oeuvre de Thomas H. Cook ne présente pas de personnages récurrents (c'est un fait qui commence à être rare dans la vaste sphère du polar), mais rares sont les déçus qui s'arrêtent à un seul de ses romans... A s'en tenir aux seuls titres de son ample bibliographie, ils évoquent fort bien l'univers de cet écrivain, chacun pouvant servir de modèle aux autres :  Les ombres du passé, Les liens du sang (à paraître en mai chez Folio), La preuve de sang, Interrogatoire résonnent déjà par les thèmes communs, leurs époques (les années 1950 ou 1960 par exemple pour Interrogatoire, La preuve de sang et Les rues de feu ), leur géographie (le Sud des Etats-Unis, dont est issu Thomas H. Cook né en 1948) et leur puissance romanesque.

En 1954, la ségrégation règne toujours dans l'état du Mississipi (région du Delta) comme partout ailleurs sur le sol américain. Si elle épargne bien entendu les familles aristocrates du quartier des Plantations dont est issu Jack Branch, il n'en est pas de même pour les classes défavorisées du quartier des Ponts auprès desquelles il donne des cours au lycée de Lakeland sur les personnifications du Mal. Entouré de l' illusion d'être né du "bon côté" grâce à un père (lui-même ancien enseignant) auréolé du prestige et de la splendeur passée, toutefois conscient de sa dette et de son devoir d'aider au mieux ses élèves à se hisser hors de leurs conditions, Jack va se prendre d'affection pour le plus faible d'entre eux. C'est bien ce rêve romantique qui va se transformer en cauchemar eveillé, puisque son héroïsme va réveiller de vieux fantômes sans nul doute plus nuisibles que les secrets qui protégeaient (faussement mais vitalement) les apparences. La devise aristocratique transmise par son vénéré père, "Veneratio sileo vera" (l'honneur est dans la vérité) peut mener au pire : telle pourrait être la conclusion de l'amer enseignement de Jack à son protégé, le paria Eddie Miller, connu pour être le fils du "Tueur de l'étudiante" lui-même élève du père de Jack... La jolie Sheila n'a t-elle pas disparu le soir où Eddie la raccompagnait chez elle, dans la vieille camionette marron qui servit à Luther Ray Miller à enlever Linda retrouvée sauvagement assassinée douze ans plus tôt  ? L'habile construction de ce roman mêle subtilement trois narrations en parallèle et tient le lecteur informé en avance sur les personnages, leurs faits et leurs conséquences fatales. Digne d'une tragédie antique qui punit l'orgueil ("hybris"), la soif de savoir (on pense ici à l'aveuglement d'Oedipe ignorant que le meurtrier sur lequel il enquête n'est autre que lui-même) et maudit la lignée porteuse du crime originel, le double héritage (celui du père d'Eddie et, en miroir, celui de Jack) refait peu à peu surface grâce aux interrogatoires des témoins et aux nombreux allers-retours entre le passé (1942) le présent des faits (1954) et le futur, ce présent de la narration pour Jack, devenu un maître déchu aussi âgé et esseulé que le fut son père. Les révélations tardives sur les secrets de famille donneront certes un sens au drame complexe qui se noue (autour de la délicate et centrale question de l'hérédité), mais alourdiront la Faute des pères transmise aux fils qui tenteront alors une échappatoire ("catharsis") pour se défaire du Mal qui les ronge, cette "funeste emprise" des ombres du passé.


Le titre du blog fait référence au dialogue qui ouvre le chapitre 27 et peut servir de morale à cette "leçon" et fable  romanesque :

"- La vie est l'inverse du mythe de la Création, affirma mon père (...)

- Que veux-tu dire ? demandai-je (...)

- Ce mythe commence dans les ténèbres et finit dans la lumière. La vie, c'est le contraire."

 

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