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Le Décameron de Grozdanovitch

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Une actualité de David V.
Publié le 19/03/2016

BoccaceCombien de temps encore parlera-t-on de Denis Grozdanovitch en citant son passé de joueur de tennis professionnel, de champion de jeu de paume ou d'amateur de squash ? Le milieu littéraire n'aime rien tant que les étiquettes, celles qui collent aux doigts et dont on ne peut plus se débarrasser comme le sparadrap du capitaine Haddock : Grozda aura donc toujours avec lui une raquette, objet encombrant s'il en est, surtout pour jouer aux échecs puisque c'est une autre de ses passions... Aussi c'est plutôt d'archer qu'il faudrait parler à son propos car il a une façon de multiplier les cordes à son arc qui a dû développer chez lui une sacrée musculature : tennisman, d'accord, joueur de paume très bien, d'échecs certes mais surtout et c'est celui-là qui nous intéresse depuis son Petit traité de désinvolture paru chez Corti, écrivain, unique en son genre, essayiste sans exclusive, dilettante érudit, interlocuteur passionnant qui entre en dialogue avec ses lecteurs devenus ses complices voire ses amis pour leur livrer sa philosophie de la vie, mélange de malice passionnée et de culture indisciplinée. L'idée a dû le tarauder longtemps et il y a résisté avec la volonté farouche de celui qui sait que la littérature s'accomode de tous les genres, y compris ceux les moins en vogue comme l'essai littéraire, mais finalement il y a cédé : le voici romancier ! La secrète mélancolie des marionnettes qui paraît le 13 janvier prochain à l'enseigne de L'Olivier le fait entrer dans la famille surchargée des auteurs de romans, et lui qui cultivait une marginalité élective (mais limitative...) va devoir affronter des adversaires toutes catégories décidés à lui tailler des croupières. Heureusement notre joueur a médité son coup et le livre qu'il nous offre passera le premier tour sans problème (en même temps on ne va pas filer indéfiniment ces pénibles métaphores sportives...) tant il est riche, curieux, drôle, ambitieux, attachant, provocateur, etc... Tout ce qu'on aimait chez le Grozda se retrouve dans ces quatre cents pages fournies mais agrémenté d'une nouvelle manière : beaucoup de dialogues, des scènes de genre, des hommages, des péripéties, du sentiment. Tel un Boccace contemporain il se lance dans un Décaméron de haute volée qui met en scène des écrivains bavards réunis par une aristo italienne  florentine qui meuble son veuvage en s'entourant d'intellectuels et de créateurs de divers pays. Le français du lot se nomme Denis, a pratiqué...le tennis et adore le bavardage, les rencontres, les arts, les déambulations, tout ce qui fait le sel d'une vie où l'on n'est pas esclave de ses horaires. Les semaines qui lui sont offertes vont lui permettre, entre autres, de se lier avec un marionnettiste noble qui survit, heureux, dans une cahute au coeur du grand parc à l'abandon de sa famille ruinée, première des amitiés qui vont germer durant ce séjour hors du temps. Bien sûr on parle beaucoup dans ce roman rythmé par les repas délectables d'hôtesses princières, on se chamaille, on se provoque, on se cherche, on s'éprouve à coup de théories, de réminiscences, on gesticule, comme des pantins sur la scène vermoulue d'un vieux château. Et si dans le monde du dehors il n'y a pas la peste comme chez Boccace, on sent malgré tout qu'un monde est en train de s'écrouler, un monde de beautés, d'humanisme et de lenteur qu'une parole teintée d'ironie seule peut protéger, encore quelques temps. On n'aura pas le culot d'oser entrer dans le détail d'un livre riche, où les références se multiplient (on corne souvent les pages dans le dessein d'y revenir...), où les noms fusent ; disons seulement que La secrète mélancolie des marionnettes est un viatique qui a bien choisi son heure pour apparaître, cette période des voeux terrible pour les nerfs.

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