Il aura échappé au Goncourt et à toutes ses contraintes fastidieuses, il n'échappera pas au Prix des Libraires qui vient de lui être attribué : Laurent Mauvignier, chéri depuis ses débuts par la profession, est donc le nouveau lauréat de ce prix qui fait peu de bruit dans les médias mais a un écho parfois insoupçonné. Des hommes avait fait partie de nos livres de rentrée, imposant sa voix, son ambition et un sujet délicat abordé avec intelligence. Parce que nous sommes contents qu'il fasse de nouveau l'actualité, nous vous rappelons l'article que nous lui avions consacré ainsi que la vidéo qu'il avait accepté de tourner dans nos "studios" naissants. Toutes nos félicitations à Laurent, en lui souhaitant un prix de tout repos et des libraires toujours enthousiastes.
Il semble bien que les éditeurs de chez Minuit aiment se faire désirer des lecteurs du poche. Double, leur collection de poche, est alimentée avec beaucoup de parcimonie, presque au compte-goûte, et chaque sortie de livre n’en devient que plus attendue.
Alors non, ce n’est pas encore cette année que les lecteurs du poche pourront lire Ravel, petit bijou signé Jean Echenoz, en Double. En revanche, en septembre, ils auront le privilège de suivre la sortie simultanée de 3 chefs-d’oeuvre du catalogue Minuit: Rosie Carpe, de Marie NDiaye, Faire l’amour, de Jean-Philippe Toussaint, et enfin Dans la Foule de Laurent Mauvignier.
Avec Dans la Foule, Mauvignier choisit de reprendre un fait divers pour le moins tragique, celui de la finale de la Coupe d’Europe des Champions qui a eu lieu au stade Heysel en 1985: l’effondrement d’une partie des tribunes suite à l’affrontement de supporters. Un bilan lourd, puisqu’on a recensé une quarantaine de morts.
Les personnages se nomment Jeff, Tonino, Tana, Fransesco, Geoff. Ils viennent de Belgique, de Grande Bretagne, d’Italie. Ils sont jeunes, presque des gamins, et ils ont évidemment la vie devant eux lorsqu’ils s’apprêtent à se rendre au stade. Tour à tour, ils nous font entendre leur voix, de la description de leur quotidien au drame terrible.
On retrouve encore une fois, et avec un plaisir non dissimulé, l’écriture si particulière de l’auteur, qui mêle dans un souffle monologue intérieur, paroles et pensées des personnages. La polyphonie devient tantôt chant funèbre, tantôt épopée où les personnages, témoins de l’Histoire, nous livrent leur profond désarroi mais nous transmettent aussi leur grande rage de vivre, malgré tout.
Mauvignier parvient à sonder l’intimité de chacun avec un immense talent. Il signe ici un texte particulièrement poignant, déchirant, mais emprunt aussi d’une grande humanité.
Au regard de ses romans antérieurs, Dans la Foule s’inscrit comme un roman différent, plus long, plus aux prises avec l’Histoire aussi. Ce texte semble marquer un tournant dans son oeuvre et l’on ne saurait que trop l’encourager à poursuivre dans cette voie. La preuve avec Des Hommes, son roman suivant, un très grand texte dont le sujet est la guerre d’Algérie et ses traumatismes.
Mauvignier, un auteur à ne jamais cesser de suivre donc…