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Le réprouvé de l'éditeur

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Une actualité de David V.
Publié le 24/11/2014

Céline à Meudon (photo François Pagès)Créer une maison d'édition et la nommer, modestement ou au contraire fièrement "l'Editeur", témoigne d'un beau culot. Etre le petit-fils de l'un des plus fameux lieutenants du célèbre Gaston Gallimard et confier son roman à l'Editeur, mais pas celui de la rue Sébastien-Bottin, c'est un amusant pied de nez, d'autant que le roman en question n'aurait pas fait pâle figure au catalogue de la N.R.F. Mikaël Hirsch, s'il continue sur cette voie, a toutes les chances d'imposer sa belle voix et son style, énergique et sinueux, moins de deux cents pages suffisent à s'en persuader. Bien sûr il y a ce sujet -et on sait que, parfois, certains sujets donnent du talent- mais précisément, la figure tant illustrée (ou démolie) de Céline, Le réprouvé de la République des Lettres, pouvait faire chuter l'audacieux décidé à en faire le second rôle, prestigieux, de son roman. Le pari est réussi et ce choix de ne laisser apparaître le faux ermite de Meudon qu'au second plan n'y est sans doute pas pour rien. Le héros se nomme Gérard Cohen, un factotum au plus bas de l'échelle dans la grande maison Gallimard mais son père fait partie de la garde rapprochée de Gaston, il dirige son service commercial, à l'instar du propre grand-père de l'auteur, Louis-Daniel Hirsch, haute figure dont le souvenir s'estompe (car le commercial s'efface quand l'éditorial survit, un peu plus) . Selon un principe connu, on part du principe qu'un être de qualité doit s'élever, héritier ou pas, et s'il veut quitter la cave, où n'officie pas encore Duhamel et sa Série Noire, il doit faire ses preuves. Alors sur son moteur à deux roues il traverse la Capitale, Hermès discret qui permet à la N.R.F. de retisser sa toile au sortir d'une guerre où elle a perdu beaucoup de légitimité. Le coursier, jeune homme qui aime le jazz et les plaisirs, jouit de ce petit privilège d'être si peu et pourtant nécessaire à la mécanique de la maison d'édition qui place sûrement ses pions pour s'assurer la mainmise sur les prix littéraires, les jurés, la presse. C'est d'ailleurs un des vrais bonheurs du livre que cette peinture à petites touches d'un milieu en pleine recomposition vue par l'oeil dont on ne se méfie pas comme ces valets devant lesquels les rois osent éternuer. Il voit beaucoup, observe, jauge, juge, malicieux et sans complexe, il trimballe des secrets, dérisoires ou grands, qu'il ne trahit pas. Il en arrive ainsi à devenir le coursier exclusif des missives de Gaston à Céline (et retours), creusant sa place dans le bazar insane du réprouvé officiel qui ne réalise même pas que le jeune interlocuteur sur lequel il déverse sa bile est d'origine juive, qu'il a dû se cacher pendant la guerre, échappant par miracle aux rafles, et que les délires qu'il répand résonnent très singulièrement dans son oreille. Ces rencontres régulières rythment le roman qui va et vient dans la vie et les souvenirs du jeune homme, éprouvé voire réprouvé lui aussi. Son frêle destin de juif à peine juif se confronte à l'antisémitisme d'un génie dont il déjoue les manières et évente les litanies. A côtoyer de près l'exclu, le monstre, la banni, complaisant dans un malheur qu'il ressasse, Gérard prend la mesure de l'humanité misérable de l'homme, une misère qui, de loin (mais tout est dans ce loin) ressemble à la sienne. Roman de formation kaléidoscopique, Le réprouvé touche juste, explorant sans s'y perdre les drames et les bassesses de la littérature. On se réjouit du plaisir qu'y prendront les amateurs de belle écriture.

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