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Le rêve éclaté

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Une actualité de Fleur Cattiaux
Publié le 24/08/2013

Solanas Robbins detail wikiParmi les livres de la rentrée étrangère qui font parler d'eux, impossible de faire l'impasse sur La faculté des rêves, de Sara Stridsberg. Après avoir écrit la biographie romancée de Sally Bauer (1), l'auteur signe ici son deuxième roman - mais le premier à être traduit en français - dans lequel elle revisite cette fois-ci l'histoire de Valérie Solanas, cette féministe radicale a qui l'on doit d'une part le traité de misandrie intitulé le SCUM manifesto (Society for Cutting Up Men, ou encore Association pour tailler les hommes en pièces) (2), et d'autre part une tentative d'assassinat sur la personne d'Andy Warhol, perpétrée en 1968.

Dès lors, si nous vous recommandons la lecture de ce livre, ce n'est pas simplement parce qu'il fait parler de lui - on n'en sortirait pas ! -, mais parce que c'est un livre réellement étonnant, surtout du point de vue formel. En effet, non seulement l'auteur prend le parti de ne pas suivre la ligne du temps plutôt que d'opter pour un mode linéaire, mais elle se livre à une exploration des différents types de narration qui existent, livrant ainsi au lecteur un ensemble de pièces pour qu'il reconstitue un puzzle, celui de l'histoire de cette "pute esseulée et défoncée" qu'a été Valérie Solanas. On trouve ainsi des bribes de conversations entre la jeune femme et des proches, notamment sa mère ou encore Andy Warhol lui-même, des passages narratifs, des rapports d'audience, des listes diverses et variées... Et l'on est forcé d'effectuer des mouvements constants de va-et-vient entre le passé et le présent, le livre s'ouvrant sur l'image de Valérie en train de mourir d'une infection pulmonaire dans son appartement de San Francisco en avril 1988.

Dans ces lignes, la vulgarité, la promiscuité et la saleté flirtent avec beauté et la vitalité, rappelant inévitablement le projet poétique de Baudelaire. Ce qu'il y a de surprenant, c'est qu'en tant que lecteur, on se laisse prendre au jeu, comme fasciné par ce personnage excentrique, voire psychotique, avec lequel il est pourtant bien difficile de s'identifier. Cette attirance ambigüe s'explique-t-elle alors par la forme de catharsis que nous procure ce livre ? Sans doute. Toujours est-il que La faculté des rêves présente bien des points communs avec Miles from nowhere, ce roman écrit par Nami Mun et paru l'année dernière dans la même collection - La Cosmopolite de Stock. Il s'agit dans les deux cas du récit aussi perturbant qu'émouvant d'une descente aux enfers dans une Amérique qui semble finalement bien dépourvue de la faculté de nous faire rêver.


(1) Sally Bauer (1908-2001) première nageuse scandinave à traverser la Manche en 1939, exploit qu'elle réitéra en 1951. (2) Valérie Solanas se distancia par la suite des positions extrêmes affichées dans ce manifeste, dans lequel elle prônait ni plus ni moins l'éradication des hommes... En ce qui concerne Sara Stridsberg, notons qu'elle connaît bien son sujet vu que c'est elle qui a réalisé la traduction de ce manifeste en suédois, et qu'elle a en outre créé une pièce de théâtre autour de la vie de cette féministe acharnée.
F.A.

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