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Le roi Michon

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Une actualité de Véronique M.
Publié le 15/03/2016

Pierre Michon  copyright V.Eeckoudt"Heureux donc les minuscules...

...puisque le Royaume des lettres est à eux, et à travers eux, à nous"

Cette phrase de Jean-Pierre Richard semble embrasser à elle seule , de l'aveu même de l'intéressé, le "propos" de Pierre Michon : le critique lui consacre ce mois-ci chez Verdier poche (et quelques mois après la sortie de La nausée de Céline dans la même édition qui, rappelons-le publie depuis vingt ans les textes de Michon) un essai remarquable qui n'est autre que la collection attendue de diverses études menées depuis plusieurs années sur cet auteur à la fois confidentiel et devenu, dès sa première parution en 1984, un classique incontournable, "mort" mais "glorieux" (comme il en appelle lui-même de ses voeux, suivant à la lettre le projet barthésien) de la littérature moderne.

Fidèle à sa méthode visant à repérer et analyser les motifs obsédants d'une écriture, ici les "mots fantasmes" (comme l'image du puits, du plomb, de l'auréole...) contenus dans Rimbaud le fils, Maîtres et serviteurs et Vie de Joseph Roulin (auxquels il réserve un chapitre distinct), les Chemins de Michon de Jean-Pierre Richard rendent honneur à l' "autolégende" qu'incarne selon lui cet homme de foi dans le Rien et le Verbe, rongé par le doute, taraudé par le sentiment d'imposture, illuminé par la grâce qui, selon Michon lui-même, lui aurait été accordée cette unique fois (considérant ses ouvrages postérieurs comme des notes de bas de page de ce texte premier!), dans le miracle tant espéré d'une réapparition de cette "joie phénoménale" délivrée par l'écriture seule. Cet essai, ainsi que la sortie quasi simultanée de Ecritures orphelines que Laurent Demanze consacre chez Corti à l'analyse de trois "frères" d'écriture (Pierre Bergounioux, Gérard Macé et Pierre Michon) comparés avec finesse d'abord parce qu'ils incarneraient en partie ce tournant des Lettres qu'il situe au début des années 80 et parce que leur prose interroge (chacune à leur manière) le secret de l'origine et de la filiation : transmission à la fois sacrée (transcendance), généalogique (ancêtres convoqués), littéraire (Michon ne cesse de redire sa reconnaissance envers ses maîtres: Faulkner, Flaubert,...) et fraternelle (l'homme, ce "saccus merdae" sans Dieu comme le nomme, mi-affectueux mi-ironique, Michon...).

Afin d'attendre patiemment jusqu'au 25 août, date annoncée de la prochaine parution d'un opus qui s'intitulera Les onze (nous n'en savons pour l'heure pas davantage!), vous pouvez dès lors vous plonger dans la lecture de quelques romans récents qui, à mon avis, sont de petits bijoux qui (r)appellent un vrai plaisir de lecture, dignes des Vies : il s'agit de Pierre Silvain, trop méconnu malgré une présence en littérature depuis près de cinquante ans mais qui fut (mieux?) remarqué lors de la rentrée littéraire dernière grâce à la figure de son Julien Letrouvé colporteur, orphelin errant et illettré dans la campagne militaire de 1792 et qui porte comme inestimable trésor l'amour des livres dont il a entrevu dans son enfance la secrète magie.

Plus récemment, notons que le titre même du roman de Marie-Hélène Lafon: Les derniers Indiens chez Buchet-Chastel (qui, en tant que lecteurs, nous avaient tant enchantés et a bien failli remporter le prix Lavinal 2008!!) est un emprunt discret à une métaphore de l'écrivain : "La littérature n'est plus un art majeur. [...] Les écrivains sont des espèces de survivants maintenus sous perfusion, on ne sait pas pourquoi, un peu comme une réserve d'Indiens". De cette dette, Marie-Hélène Lafon se réclame ouvertement, elle qui fait de "ses" Vies minuscules un précieux "bréviaire" qui ne la quitte jamais.

Afin de (se) convaincre de la nécessité de ne pas quitter ces récits brefs mais somptueux qui font véritablement "trembler" (le terme est de J.-P. Richard et de Michon) la langue et le sens, les entretiens que Pierre Michon a accordés ces vingt-cinq dernières années sont regroupés dans Le roi vient quand il veut (Albin Michel) : manière parfaite de prolonger la (re)découverte autant que d'assister à une brillante leçon de littérature (que tout écrivain en herbe se devrait de posséder dans sa bibliothèque!) car il n'y est pas question seulement de l'auteur et de son oeuvre, mais également de découvrir, à travers sa propre "mythologie", une histoire intime de la littérature permettant de cerner au plus près l'objet de l'écriture. Car, selon Jean-Pierre Richard, le travail de Pierre Michon ne vise pas à atteindre autre chose que l'énigme d'une vocation, appel tardif mais impérieux, premier et ultime sursaut (sursis?) face à l'abîme. La mélancolie qui imprègne indéniablement les propos de Michon n'est pas dénuée paradoxalement de cette ferveur qui, à la fois lucide et profondément croyante, passionne et désarme.

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