Belle sensation de la rentrée que ce roman d'Alain Guyard immatriculé au Dilettante, éditeur qui n'a plus à prouver son goût pour les âmes fortes et les têtes dures. La zonzon c'est la prison, ce lieu que ne fréquentent guère les écrivains même lorsqu'ils sont coupables d'atroces plagiats ou d'immondes bouquins. Le héros de ce livre, professeur de philosophie, va s'y retrouver, dans l'inconfortable position d'enseignant, confronté d'un coup à la violence de fréquenter des gens souvent perdus qu'il laisse derrière lui après chaque cours, si on est tenté d'appeler "cours" les moments qu'il passe en leur compagnie à leur faire approcher les difficiles joies de la pensée. Mais si d'aucuns prendraient cela avec un recul qui les sauverait de la tentation de juger ces hommes égarés, notre homme, qui pratique une langue drue, tonique, d'une invention verbale très drôle, va plutôt se laisser séduire par ce nouveau milieu qu'il ne peut s'empêcher d'admirer sans céder à la fascination. Pris dans l'engrenage de petites combines sans interrompre sa maïeutique dont il ne sort pas toujours vainqueur (et ce sont là les meilleures scènes du livre, ces échanges sans affectation entre un homme protégé que tentent l'action et l'argent facile et des voyous qui sont pour certains allés au bout d'eux-mêmes), notre amateur de François Villon franchit la ligne noire au risque de sa peau, pas si dure que ça. On ne trahira pas dans ce bref billet l'intrigue qui se corse au fur et à mesure que notre bonhomme tombe amoureux d'une fatale prof de musique qui franchit elle aussi les barreaux, et se voit mêlé à des deals crapoteux et dangereux, on se contentera de dire que ce n'est pas le meilleur de ce livre qui vire un peu sur la fin en roman d'aventure avec complot, manipulation et le toutim de bibelots qui va avec (et devant lequel on sourit un peu : pensez, le dernier mot est : - Je t'aime...). Non, le charme de l'objet est cette redoutable langue, acérée, pointue, qui se joue des expressions, qui invente, parodie, qui se la joue canaille ou voyou, qui défrise la mythologie taularde sans trop céder au simplisme, sans nous la faire damné de la terre. La zonzon c'est du bo, du bon, du bonnet (car on picole pas mal) et ça réjouit des livres comme ça, ça ne sent pas son parisien in situ. Il vient de recevoir le Prix Georges Brassens, un bel hommage pour un tel manieur de langue.