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Le rouleau perdu de Murphy

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Une actualité de David V.
Publié le 31/07/2013
Nous avions laissé Paul Fournel en proie aux doutes que les nouvelles technologies peuvent engendrer chez une génération de lecteurs, d'auteurs et d'éditeurs qui voient s'éloigner l'ère Gutenberg avec un mélange d'incrédulité et d'inquiétude. Avec La liseuse qui vient d'ailleurs de sortir en folio, il nous racontait les troubles d'un éditeur à qui on confie cet objet supposé remplacer les piles encombrantes de livres et de manuscrits : Robert Dubois n'était pas dupe du mirage technologique mais conscient de ce qu'il y avait à tirer de cette nouvelle possibilité (et les Oulipiens dont il fait partie manifestent depuis longtemps un goût pour les possibles, les combinaisons et ne renient pas le progrès). Abandonner un personnage aussi attachant aurait été dommage, de même que ce monde de l'édition qu'a bien connu Fournel qui en fut et joliment. Revoilà donc notre ami Dubois en second rôle cette fois-ci d'une intrigue dont le héros est un écrivain ou plutôt son fantasme voire son fantôme, un "pur rien" littéraire qui occupe tout l'espace imaginaire du récit. Tout commence par une scène haute en couleurs qui fera date et qui voit un professeur de faculté, Marc Chantier (il n'y a que Fournel pour inventer de tels patronymes, et on sait que pour un autre fameux Oulipien, Jacques Jouet, le chantier est le lieu de fabrication du poème) recevoir chez lui un cadeau inattendu qu'il a bien du mal à refuser : une femme à la beauté troublante qui lui annonce qu'elle "vient lui faire l'amour", ce dont notre homme se défend avec un stoïcisme impressionnant. Mais la belle, en plus d'avoir des arguments, a des lettres et pas mal de questions notamment sur la Beat Generation. Elle prépare une thèse sur William Carlos Williams, ce qui en impose, mais s'intéresse surtout à Jason Murphy dont nous apprécions tous les sublimes poèmes amoureux. C'est qu'un mystère plane autour de ce second couteau ami de Kerouac : il aurait, quelques temps avant l'auteur de Sur la route, composé lui aussi un roman sur rouleau, pièce tellement mythique que très peu de gens peuvent prétendre l'avoir tenue entre leurs mains tremblantes. Avouez que vous-même n'êtes pas certain de vous rappeler de ce Murphy. Alors son rouleau... L'intrigue va se concentrer autour de ce fameux-fumeux "scroll" dont on a perdu la trace depuis longtemps car chez Robert Dubois un malin est persuadé qu'il y a moyen d'en faire un gros coup éditorial et qu'il faut mettre le paquet pour le retrouver, quitte à employer des escort girls afin de traquer les indices. L'histoire se complique avec plaisir du fait qu'une étudiante a choisi le poète maudit comme sujet de mémoire malgré le verdict de son professeur qui lui assène que c'est un mauvais écrivain, et elle est prête à gagner San Francisco dernier endroit où l'on a perdu sa trace... Si l'on prend un si grand plaisir à lire ce roman, c'est autant pour ce jeu de piste que Paul Fournel, qui n'aime rien tant que les contraintes pour stimuler son écriture, dessine avec talent et malice, que pour cette apparition fantomatique d'un écrivain maudit qui suscite les fantasmes, et hante ces pages jusqu'à apparaître, loque magnifique, fidèle à son idéal d'absolu et de misère. Mais Jason Murphy est surtout un roman d'amour, de l'amour qui connaît toutes les métamorphoses, fussent-elles celles de la littérature, et pour en juger il faudra le lire complètement.

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