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Le Wepler à Yanvalou

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Une actualité de David V.
Publié le 30/08/2013

Lyonel TrouillotLyonel Trouillot, s'il a eu droit à un bel accueil critique, n'a semble-t-il pas eu le succès public que nous lui prédisions ou plutôt lui espérions. Son dernier livre, Yanvalou pour Charlie, confirme cependant tout le bien que l'on peut penser du travail de cet écrivain haïtien qui n'a pas oublié qu'il était aussi poète et que sa colère pouvait prendre des accents magnifiques quand sa langue se mêlait de la pétrir. Le jury du Prix Wepler, un prix indépendant non soumis, lui non plus, au "devoir de réserve" lui a été décerné hier et ce n'est pas qu'un lot de consolation, c'est une manière de souligner la très haute qualité de son roman édité par Actes Sud. Heureusement Lyonel Trouillot n'aura de compte à rendre qu'à lui-même et si les communicants politiques qui exploitent avec un art consommé de la provocation le débat sur l'identité nationale tiquent une nouvelle fois sur ce lauréat (rappelons que La Poste, pas encore privatisée, soutient ce prix littéraire...), gageons que cette fois-ci ils sauront se faire plus discrets voire carrément silencieux comme M.Mitterrand a su en donner l'exemple il y a peu. Le silence des incultes vaut largement le bruit des critiques.

Nous reproduisons ici le petit article que nous avions consacré à ce livre.

Si l'on consulte la bibliographie de Lyonel Trouillot, on constate non seulement sa richesse (quinze livres) mais  encore son "ancienneté" : trente ans déjà que cet auteur haïtien de 53 ans nourrit une oeuvre riche et diverse qui va de la poésie en créole au roman. Mais cela fait à peine plus de dix ans que nous pouvons le lire, depuis qu'Actes Sud a édité sa Rue des pas-perdus, l'imposant comme une des fortes voix de l'univers caribéen. Fervent et inspiré, il possède un style que son expérience lui permet désormais de plier en fonction de ses personnages. Ainsi le héros de son dernier roman, Yanvalou pour Charlie, qui vient de paraître, se pare du nom un rien pompeux de Mathurin D. Saint-Fort et son monologue, qui ouvre le livre, est celui d'un jeune homme suffisant, ambitieux qui a renié en le transformant en initiale ce prénom qui trahit sa condition d'origine : Dieutor, qui sent la glèbe et la pauvreté. Ce jeune avocat a un plan de carrière et le verbe tranchant, et quelques pages suffisent à nous le rendre odieux jusqu'au moment où une faille va se faire jour dans cette mécanique sociale trop vite rêvée. Un certain Charlie, gamin de quatorze ans, débarque à l'étude "pour foutre le bordel dans (s)a vie, réveiller les morts et les bons sentiments". Et cette vision étrange d'une société haïtienne de riches et de parvenus (on se demande même au début si on est bien à Port-au-Prince) se craquelle soudain sous le flot de paroles du petit qui vient réclamer de l'aide, question de vie ou de mort. Succédant alors à cette première voix, vont s'élever celles, plus fortes, plus troublantes, plus intenses des autres protagonistes de cette quadriphonie : Haïti c'est aussi cette misère terrible, ces enfants livrés à eux-mêmes qui n'ont plus comme ressource qu'une croyance absurde en la violence et Mathurin voit renaître en lui le Dieutor enfoui, regagnant dans la souffrance l'impossible origine. Quelques jours de cohabitation avec Charlie qui s'est installé chez lui vont provoquer une mue définitive, la prise de conscience de la folie de ce pays où les O.N.G. permettent de faire carrière, où l'on vit dans les poubelles, où l'on abandonne des enfants à la bonne volonté de gens qui n'en peuvent plus, où l'on crève dans l'indifférence. Trois voix - dont celle, bouleversante de Charlie, puis celle d'un de ses compagnons d'infortune - vont ainsi être chargées de nous faire comprendre le bouleversement de Mathurin redevenu Dieutor et c'est dans ces parties que Lyonel Trouillot va donner à son propos l'ampleur stylistique dont il est capable, entonnant un "yanvalou", chant haïtien de célébration de la terre meurtrie, ouvrant même en final un pan de lumière par la voix d'une femme de retour dans la vie du héros. Ecrivain d'un tout petit pays à la dérive, il prend dès lors la puissance des auteurs qui ont l'univers pour horizon.

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