Chargement...
Chargement...


Les journées rouges - August Hermann Zeiz

9782918619420,0-4920707.jpg
Une actualité de Rayon Littérature
Publié le 01/05/2018
Cinquante ans avant les événements du mois de mai 1968 en France, l’écrivain allemand August Hermann Zeiz publiait Les journées rouges, traduit pour la première fois en ce mois d’avril 2018 sous l’impulsion des éditions La dernière goutte.

Dans l'Allemagne de 1918, les articles engagés de l'étudiant Thomas Bogen trouvent un écho de plus en plus retentissant auprès des milieux révolutionnaires. Bogen est un idéaliste, profondément réfractaire à l'autorité dont il nie tout fondement moral ou naturel. Convaincu que l'humanité porte en elle le germe de sa propre émancipation, il consacrera sa plume à en précipiter l’éclosion. Pour Thomas, « La seule chose qui importe, c’est de faire naître la foi en l’humanité. » Répudiant les « valeurs bourgeoises », honneur familial, réputation et sens de la propriété, il vit dans le dénuement en compagnie de Fromet Haiman, jeune fille de la haute société, enceinte de Bogen, ayant rompu avec sa famille pour s'installer avec celui qu'elle aime. Si Thomas se prive ainsi, c’est pour préserver son indépendance d’esprit et éviter de se compromettre sur le plan des idées. Militant pour le dépassement de la société bourgeoise, au profit des valeurs de fraternité et de partage, ne serait-il pas malvenu d’accepter l’aide financière des riches parents de Fromet ? Ce ne serait pas de nature à inspirer foi en l’espèce.

Mais Thomas n’est désormais plus le seul à faire les frais de son engagement idéologique. Fromet a de la fièvre, elle meurt de faim, mastique à l’occasion un quignon de pain pour apaiser ses entrailles implorantes. La faim, la fièvre, le stress de se savoir sous leur conjointe emprise. Fromet redoute que l’enfant vienne à en pâtir. À moins qu’elle ne soit plus très sûre de souhaiter sa venue. « Fromet lui avait souvent demandé de prendre un emploi, de gagner de l’argent, de faire des concessions. » Mais n’était-ce pas les « concessions » qui avaient jusqu’ici freinées la marche des Hommes sur le chemin de la délivrance ? Bogen abhorre le mensonge, il vomit la compromission. Qu’elle importance le confort et la sécurité d’un seul foyer, le sien en l’occurrence, peut-elle bien revêtir auprès de la libération des peuples du monde entier ? Pourtant, devant le spectacle du dépérissement de Fromet et à l’écoute de ses supplications, Thomas n’a d’autre choix que de céder. Il s’engage au « parti » pour lequel il deviendra rédacteur. « Parti : viol de cerveau pour atteindre un objectif. »

Après un travail de longue haleine, soutenu par Fromet qui, ayant repris des forces, « recopiait d’une écriture bien lisible ce qu’il avait écrit », Thomas présente son manuscrit à Farell, le chef du parti. L’apparatchik l’intimide : « Il se sentit maté par la dureté impérieuse de ses yeux gris. » Bogen se sent humilié, prisonnier de cette contradiction qui veut que, n’admettant aucun fondement rationnel à l’autorité, il se trouve néanmoins sous l’influence de celle, presque mystique, exercée sur lui par le dirigeant : « Qu’est-ce qui le contraignait à cette soumission servile ? […] Les yeux de Bogen luisaient de fureur. » Quelle différence en vérité entre ce nouvel aspirant au pouvoir et les maîtres d’aujourd’hui, affalés grassement sur la masse des petites gens, la panse emplie des fruits de leur labeur ? Lorsque Farell, qui n’a pas même jeté un œil au travail de Bogen, lui dit apprécier ses articles, tout en le prévenant qu’il devra toutefois « y apporter quelques modifications », l’écrivain s’insurge. Puis il lui faut se rendre à l’évidence : « Il était rentré dans le rang. »

Construit sur le mode dialectique, le roman se déploie en trois parties. En premier lieu l’« Idée », puis viendra le temps de l’ « Action », les prises de position publiques et l’incarcération. Plus tard, la conquête et l’exercice du pouvoir, décisifs pour qui veut s’assurer que les êtres humains ne sont pas simplement « Des animaux qui, rusés et dangereux, niaient leur animalité pour donner à leur pouvoir les apparences de la légitimité. ». C’est à travers ce chaos d’oppositions, mensonge et vérité, individuel et collectif, humanité et animalité, bourgeoisie et prolétariat, et au moyen de son écriture engagée et ardente, qu’August Hermann Zeiz fait claudiquer cahin-caha son avatar Thomas Bogen jusqu’à une possible « Transfiguration ». Un roman passionné et plein de fougue, brillamment orchestré par un témoin privilégié du XXème siècle, qui s’inscrit sans conteste dans la meilleure tradition de la littérature révolutionnaire.

Nicolas 

Bibliographie

Abonnement

Derniers articles du blog "Ces mots-là, c'est Mollat" envoyés chaque semaine par mail